Jeudis des fiscalistes - Caroline Bosvy - Sur l’appréciation de la compétence de la commission des impôts lorsque le désaccord constaté est sujet à induire des questions de fait
Dans une décision en date du 20 mai 2022, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, et plus exactement sur la subtile distinction de savoir si le désaccord entre le contribuable et l’administration fiscale relevait d’une question de fait ou d’une question de droit (CE 9e-10e ch. 20-5-2022 n° 441999).
On sait que lorsque l’administration fiscale recourt à la procédure de rectification contradictoire relevant de l’article L. 55 du LPF pour établir des rectifications, plusieurs garanties sont concédées au contribuable.
Au nombre de celles-ci, figure la faculté pour le contribuable contrôlé de soumettre le différend qu’il entretient avec l’administration fiscale à l’appréciation de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires.
En effet, conformément aux dispositions de l’article L. 59 du LPF, lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration soumet le litige, à la demande du contribuable ou de sa propre initiative, à l'avis des commissions des impôts.
Peut être saisie la commission départementale ou nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (CIDTCA) ou la commission départementale de conciliation.
Chacun de ces organismes répond à des règles de compétence particulières.
Concernant la CIDTCA, l’article L.59 A du LPF circonscrit son champ de compétence comme suit : la commission n'est compétente que dans la mesure où le désaccord porte sur une question de fait, mais ne peut, sauf exceptions prévues par ces dispositions, se prononcer sur des questions de droit.
Pour reprendre plus justement les termes de ces dispositions, la CIDTCA « peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit ».
On comprend alors l’enjeu de la problématique de l’espèce - qui consiste rappelons-le à différencier question de fait et question de droit - puisque de cette distinction découle la compétence de cette instance.
En l’espèce, le service vérificateur a remis en cause le calcul d’une plus-value résultant de la cession d’un fonds libéral d’une société en se référant aux principes posés par la jurisprudence « Quémener ».
En quelques mots, cette jurisprudence permet d’assurer la neutralité de l’application de la loi fiscale et définit des correctifs à apporter au calcul des plus-values réalisées dans le cadre de la cession des parts de société de personnes n’ayant pas opté pour l’impôt sur les sociétés.
Le contribuable a alors présenté ses observations en réponse à la proposition de rectification que le service lui a notifiée, en précisant ne pas être parvenu à reconstituer la méthode mise en œuvre par le vérificateur pour établir la plus-value, et en sollicitant des précisions sur le mode de calcul utilisé.
En réponse à cette demande du contribuable, le service vérificateur a apporté des précisions sur le mode de calcul retenu. Il est utile de préciser que la mention imprimée relative à la faculté de saisir la commission était rayée sur la lettre de réponse.
Par suite, l’administration fiscale a mis en recouvrement les impositions supplémentaires, sans que la saisine de la commission n’ait pu être sollicitée par le contribuable.
Précisons qu'au stade de la cassation, il n'était plus contesté par l'administration que le litige était bien relatif à la détermination du revenu non commercial du contribuable, si bien que, de par sa nature, ce litige entrait dans le champ d'intervention de la commission.
Comme le souligne la rapporteur publique Madame Céline Guibé dans ses conclusions sous la décision visée, la particularité du litige tient à ce que la nature et les contours du désaccord n’étaient pas entièrement fixés.
Le contribuable avait exprimé au sein de sa réponse à la proposition de rectification l’incompréhension qu’il portait sur la méthode utilisée par le service pour déterminer la plus-value litigieuse.
Dans ces conditions, le désaccord entre le contribuable et l’administration n’était pas définitivement « cristallisé », selon les termes de la rapporteur publique, à la date de la réponse aux observations du contribuable.
Par un considérant pour le moins explicite, le Conseil d’Etat a alors jugé qu’une « réponse du vérificateur sur ce point était susceptible, à ce stade de la procédure, de donner lieu à des questions de fait » au sens des dispositions de l’article L. 59 A du LPF et entrant ainsi dans le champ de compétence de la commission des impôts.
Dans de telles circonstances, il a donc été admis que lorsque le désaccord reste susceptible d’induire des questions de fait, notamment au sein d’une réponse aux observations du vérificateur, la commission des impôts est compétente (CE 9e-10e ch. 20-5-2022 n° 441999).
Et ainsi, dès lors que la mention imprimée relative à la faculté de solliciter la saisine de la commission des impôts a été rayée, alors que celle-ci était effectivement compétente, l’administration fiscale a privé l’intéressé de la garantie résultant de l’article L. 59 du LPF et par suite a entaché la procédure d’imposition d’une irrégularité à son égard (CE 7-10-1985 n° 43242 ; CE 24-1-1986 n° 46949).
Caroline Bosvy,
Juriste.
Contact : caroline.bosvy@arbor-tournoud.fr
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