Jeudis des fiscalistes - Geoffroy Wolf - Redressement fiscal et conséquences financières imprévues pour le dirigeant
Contrairement à une croyance répandue, le dirigeant ou l’associé d’une société de capitaux ne sont pas protégés lorsque le fisc découvre au cours du contrôle fiscal de la société des revenus distribués non déclarés.
Si l’administration fiscale indique sur les avis de vérification que « l’examen de vos déclarations constitue une procédure normale dans le système déclaratif… Vos déclarations sont présumées exactes et sincères », aucun chef d’entreprise même les plus honnêtes, et ils sont nombreux, n’accueille avec joie un contrôle fiscal. Il tentera alors de se rassurer en se persuadant que les conséquences du contrôle seront limitées à son activité professionnelle et n’auront pas d’impacts sur sa situation personnelle.
Sauf que l’entrepreneur individuel ou l’associé de sociétés dites « à l’IR » sait que le rehaussement du bénéfice de son entreprise se traduira par le rehaussement de l’impôt sur le revenu et prélèvements sociaux dont il est redevable personnellement.
Le dirigeant ou associé de sociétés de capitaux pense quant à lui que si le redressement peut être douloureux pour la société, celui-ci n’aura pas de conséquences sur sa situation personnelle. Dans le pire des cas, si la société ne peut pas assumer les conséquences du redressement, la liquidation judiciaire pourra être utilisée. Mais le patrimoine personnel sera préservé… ouf !
C’est malheureusement faux, d’abord parce que le fisc dispose de moyens lui permettant de mettre à la charge personnelle du dirigeant les dettes fiscales de la société qu’elle ne peut pas payer. Mais ce n’est pas de cela dont nous parlons aujourd’hui.
C’est également faux parce que le contrôle fiscal de la société peut révéler des opérations qui s’assimilent à des rémunérations occultes ou une appréhension dissimulée des profits sociaux. Ces opérations sont regroupées sous le vocable de « revenus distribués ».
Ces remises en cause, qui entraînent un redressement de la société, conduiront l’administration fiscale à redresser également la situation personnelle du bénéficiaire de ces opérations.
QUELQUES EXEMPLES DE SITUATIONS DE REVENUS DISTRIBUÉS
Il n’est pas possible de donner ici la liste de toutes les opérations qui peuvent être considérées comme des revenus distribués, tant ils peuvent se dissimuler sous des apparences diverses. S’il est vrai que certains contribuables ont fait preuve de beaucoup d’imagination en la matière, l’administration a également tendance à en avoir une vision très extensive.
Les articles 109 et 111 du Code général des impôts (CGI), envisagent trois situations distinctes que sont :
- Les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (art. 109,1-1°) ;
- Les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices (art. 109,1-2° et 111 a) ;
- Les rémunérations et distributions occultes (art. 111 c).
Ces différentes catégories permettent de couvrir un très large spectre de situations pouvant dissimuler un revenu distribué. Mais chacune obéit à un régime propre et constitue un fondement autonome d’imposition que l’administration fiscale doit utiliser à bon escient, au risque d’encourir l’annulation des redressements.
À titre d’illustration, nous pouvons citer les situations qui sont le plus souvent rencontrées :
- Appréhension par un associé ou un tiers du produit d’une opération revenant à la société ;
- Achat par la société ou apport à la société d’un bien à prix majoré, ou vente par la société d’un bien à prix minoré ;
- Prise en location par la société d’un bien pour un loyer excessif, ou jouissance gratuite ou à prix réduit de biens, consentie aux associés ;
- Abandons de créances au profit des dirigeants, ou prêts et avances de la société à son dirigeant sans intérêt ou insuffisamment rémunérés ;
- Inscription au crédit du compte courant d’associé de sommes non justifiées ou sans contrepartie réelle ;
- Perception par le dirigeant d’avantages en nature non comptabilisés de manière explicite ;
- Indemnités kilométriques et remboursement de frais non justifiés ou non engagés dans l’intérêt de la société, ou prise en charge par la société de dépenses incombant à un associé ou à un tiers ;
- Dépenses d’aménagement de locaux appartenant aux dirigeants, travaux de grosses réparations effectués par la société locataire sur des immeubles appartenant aux dirigeants…
LA RECHERCHE DU BÉNÉFICIAIRE : LE « MAÎTRE DE L’AFFAIRE »
Lorsque le service se fonde sur les dispositions des articles 109, 1-1° ou 111 c du CGI, il doit déterminer le bénéficiaire des revenus distribués pour pouvoir mettre à sa charge personnelle les impositions supplémentaires.
Parfois, cette preuve ressort de la comptabilité elle-même ou des informations communiquées par les banques indiquant clairement qui a encaissé les sommes. Le vérificateur peut également utiliser la procédure de l’article 117 du CGI et demander à la société de désigner les bénéficiaires des distributions.
Cette désignation n’est pas opposable à la personne désignée (sauf si le dirigeant s’est autodésigné), mais permet d’infliger à la société une amende égale à 100 % des distributions en cause si la réponse n’est pas recevable.
Mais l’administration fiscale dispose d’une arme excessivement puissante, créée par le juge administratif, pour désigner le bénéficiaire des revenus distribués : la notion de « maître de l’affaire ».
Lorsqu’une personne est qualifiée de « maître de l’affaire », elle est présumée de façon irréfragable être la bénéficiaire des revenus distribués. Le maître de l’affaire désigné ne peut pas échapper à l’imposition personnelle en démontrant qu’il n’a pas été bénéficiaire des sommes, même s’il apporte la preuve qu’elles ont été versées à une autre personne, et même si le bénéficiaire réel des sommes est parfaitement identifié ! (Conseil d’État, 8e et 3e chambres réunies, 29/06/2020, 432815).
Il n’existe pas de définition officielle du maître de l’affaire. Cette notion repose sur la confusion de patrimoine de la société et de celui qui dispose d’un pouvoir exclusif de gestion et qui utilise les biens de la société comme s’ils étaient les siens.
Ce peut être un dirigeant, un associé ou même un tiers. Pour le qualifier, le vérificateur procède par faisceau d’indice et peut retenir les éléments suivants : détention majoritaire du capital, utilisation exclusive des comptes bancaires de la société, signataire unique des déclarations fiscales, interlocuteur unique des tiers, utilisation sans contrôle des biens de la société…
DEUX PROCÉDURES SÉPARÉES ET DES SANCTIONS
Pour mettre à la charge du bénéficiaire des revenus distribués les impositions supplémentaires, l’administration a l’obligation d’engager contre lui une procédure de redressement fiscal distincte de celle conduite contre la société. Les deux procédures sont indépendantes, car les contribuables et les impôts redressés ne sont pas les mêmes. Le bénéficiaire désigné des revenus jouira des droits et garanties attachés à la procédure de redressement. Mais, corollaire négatif de cette indépendance des procédures, les irrégularités affectant le redressement de la société n’auront pas d’influence sur la procédure conduite contre le bénéficiaire des revenus. Ainsi, le bénéficiaire des revenus distribués peut être imposé personnellement même si la procédure conduite contre la société est annulée.
Pour finir de noircir le tableau, précisons que les sommes réputées distribuées sont majorées de 25 % en application de l’article 158, 7-2° du CGI, qu’elles sont taxables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sans abattement, et sont soumises à la retenue à la source de l’article 119 bis, 2 du CGI, lorsqu’elles sont versées à des résidents étrangers.
Enfin, en pratique, lorsqu’elle considère avoir détecté des revenus distribués occultes, l’administration fiscale estime souvent que cette pratique constitue des manquements délibérés voire des manœuvres frauduleuses, sanctionnée par des majorations de 40 ou 80 % des impôts éludés.
Il n’est donc pas rare que les conséquences financières pour les bénéficiaires des revenus distribués soient plus lourdes que celles infligées à la société elle-même. Les dirigeants, associés et leurs conseils doivent donc avoir en permanence à l’esprit ces questions dans le cadre de la gestion quotidienne de la société et a fortiori en cas de contrôle fiscal.
L’article ci-avant a été publié aux Affiches de Grenoble, il peut être retrouvé sous le lien suivant :
Geoffroy Wolf,
Avocat associé.
Contact : geoffroy.wolf@arbor-tournoud.fr
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