Jeudis des Fiscalistes - Laëtitia Pignier - Le Juge réaffirme les modalités d’appréciation de l’acte anormal de gestion dans le cadre d’opérations d’achat pour revente d’immeubles
Un arrêt récent de la Cour Administrative d’Appel de Paris du 24 novembre 2020, (n°19PA00948) relatif à la cession par un marchand de biens d’un lot immobilier à un prix inférieur au prix de cession d’autres lots est venu confirmer que les juges du fonds ne transposent pas à la cession d’éléments de l’actif circulant l’analyse retenue pour les cessions d’éléments de l’actif immobilisé selon laquelle un écart de prix significatif entre le prix de vente et la valeur vénale de l’élément de l’actif immobilisé cédé suffit à l’administration, à qui incombe la charge de la preuve, pour établir l’existence d’un acte anormal de gestion (CE, 21 décembre 2018 n°402006).
Il est en effet fréquent que dans le cadre d’une opération globale un promoteur immobilier procède à des cessions de lots à des prix différenciés.
Fiscalement, une cession consentie dans ces conditions est susceptible de constituer une difficulté sur le terrain de l'acte anormal de gestion.
Rappelons en effet que si les entreprises disposent de la liberté de prendre toute décision qu'elles estiment opportune dans le cadre de l'exercice de leur activité, sans que l'administration puisse s'immiscer dans leur gestion, la jurisprudence reconnaît toutefois à l'administration la possibilité d'apprécier le caractère normal ou anormal des actes de gestion.
L'acte anormal de gestion se définit comme « celui qui est accompli dans l'intérêt d'un tiers par rapport à l'entreprise ou qui n'apporte à cette entreprise qu'un intérêt minime hors de proportion avec l'avantage que le tiers peut en retirer » (Conclusions du commissaire du gouvernement M. FOUQUET rendues sous l'arrêt Conseil d'Etat du 10 juillet 1992, n°110214).
Le contrôle de l'administration fiscale sous l'angle de l'acte anormal de gestion s'exerce tout particulièrement dans les situations où l'entreprise accorde des avantages à des dirigeants, des associés, ou à d'autres entreprises auxquelles elle est liée.
Il appartient à l’administration d’établir les faits démontrant l’acte anormal de gestion sur lequel elle fonde le rehaussement si l’acte ne s’est pas traduit par une écriture comptable portant sur des créances de tiers, des amortissements, des provisions ou des charges.
Le Conseil d’Etat estime, s’agissant des actifs immobilisés, qu’un écart de prix significatif entre le prix de vente et la valeur vénale de l'élément de l'actif immobilisé cédé suffit à l'administration pour établir l'existence d'un acte anormal de gestion et qu’il appartient dans cette hypothèse au contribuable de justifier que l’appauvrissement correspondant a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise (CE, 21 décembre 2018 n° 402006).
Dans l’affaire examinée par la cour d’administrative d’appel de Paris, un marchand de bien avait vendu différents lots d'un ensemble immobilier.
Lors d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a estimé que la SCI avait vendu le lot n° 5 à un prix anormalement bas en comparaison des prix auxquels elle avait cédé les autres lots et qu'elle avait, ce faisant, commis un acte anormal de gestion.
La cour administrative d'appel relève que, pour établir que l'écart de prix constaté sur le lot n°5 constitue une minoration de prix susceptible de caractériser un acte anormal de gestion, l'Administration s'est bornée à constater une différence de prix au m² avec les autres lots vendus entre juin et août 2007, sans s'appuyer sur des éléments relatifs à l'état concret du bien au moment de sa vente.
Le contribuable faisait valoir que, compte tenu, d’une part de difficultés financières dans le cadre de l’opération globale d’aménagement, et, d’autre part, du fait que l’état du lot n°5 n’était pas similaire à celui des autres lots, l’administration fiscale ne rapportait pas la preuve qui lui incombait de l’existence d’un acte anormal de gestion.
En accueillant ces arguments la Cour Administrative d’Appel de Paris confirme que les juges du fond maintiennent la jurisprudence actuelle (CE, 4 juin 2019 n°418357) et que, s’agissant de la cession d’un actif circulant, l’administration doit démontrer, pour pouvoir procéder à des rappels au titre de l’existence d’un acte anormal de gestion, outre l’écart significatif entre la valeur vénale du bien cédé et son prix de vente, compte tenu de ses caractéristiques, l’intention du cédant de consentir une libéralité au cessionnaire, à la différence des cessions d’éléments de l’actif immobilisé pour lesquelles l’administration a été expressément déchargée de cette preuve par le Conseil d’Etat (CE, 6 février 2019 no 410248 : BF 5/19 inf. 393).
Rappelons que pour l'appréciation du caractère normal ou anormal du prix pratiqué au titre d'une vente considérée, doivent être retenus comme termes de comparaison, les prix pratiqués par les entreprises concurrentes dans la même zone géographique pour des biens de même nature et de qualité comparable au cours de la période concernée et compte tenu des caractéristiques techniques de l’immeuble et de son occupation au moment de la vente (CE, 21 février 1990 n° 84483, CE, 20 juin 1984 n° 35963, 7e et 9e s.-s).
Lorsqu’il est établi, le caractère anormal d'un avantage se traduit par la réintégration aux résultats imposables des charges exposées à cette occasion, ou des recettes auxquelles l'entreprise a indûment renoncé.
Lorsque l'entreprise relève de l'impôt sur les sociétés, cette libéralité est assimilable à une distribution de fonds sociaux. A ce titre, elle est soumise à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun (CE 9 juillet 1980 n° 12050, 7e et 8e s.-s. : RJF 10/80 n° 762 ; CE 21 novembre 1980 n° 17055 ; BOI-BIC-PVMV-10-20-10 n° 100 et 110. CAA Paris 23 janvier 1990 n° 342, 3e ch., Solabail : RJF 5/90 n° 543).
En outre, l'avantage ainsi accordé serait taxable en qualité de revenu distribué entre les mains de l’associé si la vente a été réalisée au profit de l’un des associés de la société.
Dès lors, si l’on veut sécuriser au plan fiscal une cession à un prix inférieur à celui du marché, il convient de se ménager la preuve de l’existence d’une contrepartie suffisante pour la société cédante afin d’interdire à l’administration fiscale d’établir que le cédant aurait intentionnellement agi contre son intérêt.
Laetitia PIGNIER laetitia.pignier@arbor-tournoud.fr
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