Jeudis des fiscalistes - Laëtitia Pignier - TVA sur marge : fin de la saison 1, la saison 2 commence
Depuis la réforme de la TVA immobilière intervenue en 2010 l’application de la TVA sur marge en cas de revente de terrains à bâtir pose de nombreuses difficultés d’interprétation et entraine une grande insécurité des opérations d’aménagement et de lotissement.
LA CJUE vient d’apporter une réponse, très attendue, aux questions préjudicielles que lui avait posées le Conseil d’Etat sur les modalités d’application du régime de TVA sur marge dans l’affaire ICADE Promotion.(CJUE 30-9-2021 aff. 299/20)
Rappelons que par dérogation au principe de l’application de la TVA sur le prix total, en cas d’acquisition puis de revente d’un terrain à bâtir par un assujetti à la TVA, la cession peut être soumise à la TVA sur la marge lorsque son acquisition n’a pas ouvert droit à la déduction de la TVA.
Outre cette condition, qui est considérée comme remplie notamment lorsque l’acte d’acquisition ne mentionne pas de TVA ou lorsque l’immeuble a été acquis pour les besoins d’une activité hors du champ de la TVA, l’administration fiscale avait posé une condition d’identité juridique et physique entre le bien acquis initialement et le bien revendu dans des réponses ministérielles successives en 2016.
L’administration est ensuite partiellement revenue sur sa doctrine au travers de la publication de plusieurs réponses ministérielles.
Le Conseil d’Etat a, dans une décision du 27 mars 2020, prononcé l’annulation d’un arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de Lyon, dans une affaire opposant la société PROMIALP que notre cabinet représente, à l’administration fiscale, estimant que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant qu’il résultait des dispositions de l’article 268 du CGI et 392 de la directive du 28 novembre 2006 que le bénéfice du régime de TVA sur la marge était subordonné à la seule condition que l’acquisition du bien cédé n’ait pas ouvert droit à déduction (CE 27.03.2020 n°428234, « Promialp ») et décidé du renvoi de l’affaire devant la CAA de Lyon.
Par deux décisions du 1er juillet 2020 (CE, 8èch., 431641, « RGBM » et 435463 « Immoxine », inédits au Recueil Lebon) le Conseil d’Etat a conforté la position de l’administration en précisant que le régime de TVA sur marge s’appliquait uniquement aux opérations de cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition avaient le caractère d’un terrain bâti.
Devant l’afflux des contentieux et la jurisprudence disparate des Cours Administrative d’Appel sur la question, le Conseil d’Etat a renvoyé à la CJUE une question préjudicielle dans le dossier ICADE PROMOTION à laquelle la CJUE vient de répondre et aux termes de laquelle :
_ Le régime de la TVA sur marge requiert une condition « d’identité juridique » et ne s’applique pas aux opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir
_ Le régime de la marge s’applique à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots.
_ Le terrain à bâtir qui a fait l’objet de travaux de raccordement aux réseaux reste un terrain à bâtir et ne devient pas un immeuble.
_ La TVA sur marge ne s’applique pas lorsque l’acquisition par l’acheteur revendeur était hors du champ de la TVA ou exonérée de taxe sauf lorsque le prix auquel l’assujetti revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de la TVA qui a été acquittée en amont par le vendeur initial.
Ce dernier point mériterait d’être clarifié et selon l’interprétation qui en sera retenue par l’administration fiscale et les juridictions internes, outre les difficultés d’application qui en résulteront, le champ d’application de la TVA sur marge pourrait s’avérer considérablement réduit puisque l’opérateur devrait vérifier les conditions dans lesquelles le vendeur initial a acquis le bien pour déterminer le régime applicable à la revente.
L’arrêt ne traite d’ailleurs pas du détachement d’une parcelle, lorsque la parcelle d’origine supporte le bâti.
Ce cas de figure a fait l’objet d’une question préjudicielle renvoyée par la CAA de Lyon à la CJUE (CAA de Lyon, 5° Ch. 18/03/2021 19LY00501, inédit au recueil Lebon) aux termes de laquelle il est demandé à la Cour de se prononcer sur le point de savoir si l’article 392 de la Directive du 28 novembre 2026, doit être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :
_ Lorsque ces terrains, acquis bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir ;
_ Lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leur caractéristique telles que leur division en lots.
La deuxième saison du feuilleton de la TVA sur marge ne fait donc que commencer.
Quoi qu’il en soit les opérateurs pourront faire obstacle à certains redressements en se retranchant derrière les termes changeants de la doctrine administrative depuis l’intervention de la réforme (dont la dernière en date est ka réponse AN GRAU N°35554 du 27 avril 2021), en fonction de la date des opérations concernées.
contact : laetitia.pignier@arbor-tournoud.fr
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