Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Contentieux des contributions sociales assises sur les revenus distribués occultes du gérant majoritaire de SARL : où en est-on ?
(Conseil d’Etat, 20/10/2021, n° 440375)
Marc Tournoud, avocat, spécialiste en droit fiscal.
Chacun sait que lorsque l’administration fiscale rectifie le montant des résultats fiscaux d’une SARL ou d’une EURL soumise à l’impôt sur les sociétés, ou lorsqu’elle constate l’existence de revenus désinvestis au détriment de ces sociétés, ce contrôle s’accompagne le plus souvent d’une rectification corrélative des revenus imposables du gérant dans la catégorie des revenus distribués, notamment lorsque ce gérant peut être considéré comme le seul maitre de l’affaire, et en particulier s’il est gérant majoritaire de la société.
L’article 62 du Code General des Impôts classe les rémunérations des gérants majoritaires de SARL dans la catégorie des traitements et salaires, mais les revenus de l’espèce sont considérés, par le Code de la Sécurité Sociale, comme des revenus d’activité.
Ainsi les intéressés, de même que l’associé unique gérant d’une EURL soumise à l’Impôt sur les sociétés, sont assimilés à des salariés par le Code General des impôts, mais à des travailleurs indépendants par le Code de la Sécurité Sociale.
Ils sont donc affiliés de plein droit au régime des non-salariés au regard, notamment, de leurs obligations déclaratives et de paiement en matière de contributions et prélèvements sociaux.
Cette situation manifestement bancale pose problème vis-à-vis notamment de la CSG et des prélèvements sociaux assimilés, dont on sait que leur contrôle relève de la Direction des Finances Publiques s’ils portent sur des revenus du patrimoine, et des URSSAF s’il s’agit de revenus d’activité.
Il se pose donc la question de savoir si les revenus distribués (au premier chef les dividendes régulièrement distribués) doivent être regardés comme des revenus d’activité (dans ce cas c’est l’URSSAF qui les contrôle), ou des revenus du patrimoine, pour lesquels l’assiette, le contrôle et le recouvrement de la CSG appartiennent au domaine de compétence de la DGFIP.
La Loi parait claire : parmi les contributions sociales sur les revenus d’activité, visées à l’article L. 131-6, tel que modifié par l’article 11 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, figurent notamment celles assises sur les revenus distribués visés au 2 du de l’article L. 131-6 du Code de la Sécurité Sociale.
L’article L. 131-6 prévoit que, depuis 2013, la part des revenus distribués mentionnés aux articles 108 à 115 du Code Général des Impôts perçus par les assurés affiliés aux régimes des travailleurs indépendants et exerçant leur activité dans le cadre d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, qui est supérieure à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenu en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes, est intégrée dans l’assiette des cotisations et contributions sociales des revenus d’activité.
En d’autres termes, est expressément exclue de l'imposition aux prélèvements sur revenus du patrimoine la fraction excédentaire des dividendes et intérêts de compte-courant perçus par les travailleurs indépendants associés d'une société assujettie à l'impôt sur les sociétés dans laquelle ils exercent leur activité, comprise dans l'assiette des cotisations sociales et soumise à la CSG et la CRDS au titre des revenus d'activité.
La règle parait claire, et les administrations l’appliquent sans grosses difficultés lorsque elles se trouvent en présence de distributions régulières : les dividendes servent à calculer les contributions sociales sur les revenus d’activité pour la part qui est supérieure à 10 % du capital social (correction faite éventuellement des compte courants d’associé), et le contrôle et le recouvrement du montant correspondant appartient aux URSSAF, tandis que la part de ces dividendes et comptes courants d’associé qui est inférieure à 10 % relève en principe de la compétence de la DGFIP, en nature de prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine.
L’usine à gaz des contributions et prélèvements sociaux sur les revenus distribués aux gérants majoritaires de SARL fonctionne donc à peu près lorsque les services se trouvent en présence de revenus distribués de manière régulière.
Mais qu’en est-il des revenus distribués occultes, de la nature de ceux visés aux articles 109 à 111 du Code Général des Impôts ?
L’appétit des services de contrôle de l’administration fiscale n’ayant guère de limites, c’est traditionnellement la DGFIP qui s’arroge le privilège de redresser et mettre en recouvrement les rappels de prélèvements sociaux assis sur les revenus distribués de manière occulte aux gérants majoritaires de SARL.
Mais cette voracité se heurte à un argument de texte, puisque ces revenus occultes sont visés aux articles 109 à 111 du CGI. Ils sont donc aussi visés par l’article L. 131-6 du Code de la Sécurité Sociale qui prévoit justement que la part des revenus distribués mentionnés aux articles 108 à 115 du CGI perçus par les assurés affiliés aux régimes des travailleurs indépendants et exerçant leur activité dans le cadre d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, est intégrée dans l’assiette des cotisations et contributions sociales des revenus d’activité pour la part qui est supérieure à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes.
Notre cabinet a déjà engagé de nombreux contentieux sur ce thème, jusqu’ici en pure perte devant les tribunaux administratifs et les Cours.
Mais le Conseil d’Etat vient de confirmer de manière très claire dans une décision du 20/10/2021, n° 440375, que si les revenus distribués ont en principe le caractère de revenus des capitaux mobiliers passibles de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, ceux du gérant majoritaire d'une société à responsabilité limitée doivent être regardés, pour leur assujettissement aux prélèvements sociaux, comme des revenus d'activité pour leur fraction excédant 10 % du capital social et des primes d'émission ainsi que des sommes versées en compte courant. Cette fraction entrant ainsi dans le champ des contributions portant sur les revenus d'activité, elle ne saurait être soumise à celles assises sur les revenus du patrimoine.
On peut retirer de cette décision de principe que les gérants majoritaires de SARL et EURL qui auraient fait l’objet de rappels de prélèvements sociaux sur les revenus distribués imposés à leur nom depuis les revenus de l’année 2013 peuvent faire valoir ce moyen nouveau dans le cadre des contentieux en cours ou à venir lorsque les délais de recours ne sont pas expirés, et demander le dégrèvement des rappels de prélèvements sociaux mis à leur charge pour leur fraction excédant 10 % du capital social et des primes d’émission ainsi que des sommes versées en compte courant.
En effet, l'administration fiscale n'est pas compétente pour procéder au contrôle et au recouvrement de ces sommes.
Certes, cette fraction des revenus distribués doit être intégrée dans l’assiette de la CSG et de la CRDS dues sur les revenus d’activité, et le dégrèvement des prélèvements sociaux devrait appeler un rappel d’égal montant de la part des URSSAF. Toutefois, en pratique, dans la très grande majorité des cas, cette régularisation sera empêchée par la prescription. Il s’agira donc d’un gain net au contentieux, dans la généralité des dossiers en cours.
Il y a là une opportunité contentieuse à ne pas négliger. Notre cabinet se tient donc, évidemment, à la disposition des contribuables qui voudraient explorer la possibilité d’un recours pour leurs dossiers contentieux et contrôles en cours.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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