Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - dans l’hélicoptère de l’évasion fiscale, le pilote ne vole pas de ses propres ailes …
(Tribunal administratif de Rennes, n° 1903977, 1904167, 30 juin 2021)
Nos lecteurs se souviennent des commentaires du cabinet sous l’arrêt CE 436367 du 4 novembre 2020 dans lequel le Conseil d’Etat avait jugé qu’un pilote d’hélicoptères envoyé à l’étranger par une société française, mais payé par une société interposée basée à Jersey (pudiquement qualifiée de société de « portage »), devait être considéré :
- comme un salarié de la société française pour les besoins de l’application des dispositions de l’article 155 A du CGI (qui permet d’éliminer la société interposée pour les besoins de l’impôt),
- mais comme un salarié de la société interposée à Jersey pour les besoins de l’article 81 A du CGI (qui exonère d’impôt sur le revenu certains salariés envoyés à l’étranger par une société de la Communauté).
Cette décision CE 436367 du 4 novembre 2020, qui admettait le lien de subordination avec la société française pour les besoins de l’impôt, mais pas pour les besoins du dispositif d’exonération des salariés détachés à l’étranger, avait suscité une certaine perplexité des commentateurs les plus avisés.
Ainsi, Monsieur Olivier FOUQUET (revue trimestrielle de droit commercial de mars 2021) a pu qualifier cette approche de « schizophrénique », et avoué qu’elle pouvait « créer un certain malaise chez le commentateur » : c’est en effet le salarié qui est le dindon de la farce, puisqu’il se voit refuser un régime d’exonération auquel il a droit en tant que salarié, alors que ce sont les pratiques de son employeur qui sont en cause.
On attendait donc une correction de l’orientation de la jurisprudence, ce d’autant plus qu’entre temps, la société de « portage » interposée, qui était auparavant fixée à Jersey, a désormais déplacé son siège à Chypre.
Cette correction ne s’est pas fait attendre longtemps, puisque le tribunal administratif de Rennes, dans une affaire intéressant une autre pilote de la même compagnie, vient de fixer la situation de droit de la manière bien plus intelligible que le Conseil d’Etat (Tribunal administratif de Rennes, n° 1903977, 1904167, 30 juin 2021).
Dans cette affaire soumise au TA de Rennes, le service, dont l’imagination n’a pas de limites, avait cru pouvoir contourner le régime d’exonération de l’article 81 A du CGI en revendiquant une taxation des revenus du pilote en nature de bénéfice non commerciaux.
Mais dans sa décision du 30 juin 2021, le tribunal a rappelé qu’afin de déterminer la catégorie dans laquelle les rémunérations perçues par le pilote devaient être imposées, il y a lieu d’analyser les relations qui, durant les trois années en litige, existaient entre lui et la société Heli-Union qui a été bénéficiaire de ses services.
Le tribunal poursuit : « Il convient, toutefois, d’apprécier concrètement la situation de M. XX et, par suite, de tenir compte des stipulations figurant au contrat de travail qu’il a signé avec la société Ofsets Ltd, dès lors que, si l’intermédiation de cette société ne poursuivait pas d’autre but que d’interposer artificiellement la société Ofsets ltd entre le contribuable et la société Heli-Union, ces stipulations régissaient effectivement les modalités d’exercice de son activité professionnelle et qu’il ne résulte pas de l’instruction que le requérant ait été à l’origine de ce montage.
Durant les années en litige, M. XX était lié avec la société Ofsets Ltd établie à Chypre, par un contrat de travail régissant principalement la nature de son emploi, les conditions dans lesquelles il pouvait y être mis fin, ainsi que les modalités de détermination des périodes de travail et de sa rémunération. Il est constant que la société Ofsets Ltd versait à M. XX sa rémunération établie au regard des missions réalisées.
Dans le cadre de l’exécution de ce contrat, le volume de travail et de rémunération de M. XX résultait des missions confiées par la société Heli-Union qui encadrait son activité sur son lieu de travail.
Ainsi, M. XX n’apparaît pas comme ayant eu la maîtrise des modalités d’organisation de son travail ou de son mode de rémunération, ni comme ayant négocié avec la société Heli-Union les modalités d’exercice de son emploi, mais, au contraire, comme ayant été dans une situation de subordination à l’égard de la société Heli-Union, soit directement dans l’exercice de sa profession, soit indirectement par l’intermédiaire de la société Ofsets ltd, s’agissant de la gestion administrative et financière de son emploi. ».
Les pilotes ne sont donc pas des travailleurs indépendants. Surtout, les juges du Tribunal administratif de Rennes admettent, enfin, que les pilotes d’hélicoptère sous contrat d’une société de « portage » interposée sont bien dans une situation de subordination vis-à-vis de la société française, directement ou indirectement, ce qui ouvre aux intéressés le bénéfice des dispositions de l’article 81 A du CGI.
Cette décision marque donc un progrès significatif de la jurisprudence.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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