Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - De l’inconvénient d’avoir un enfant délinquant (CAA de Lyon n° 18LY04413, 21 janvier 2021).
Un bon père de famille avait été assujetti à des compléments d’impôt sur le revenu résultant, d’une part, de diverses corrections apportées par l’administration aux revenus fonciers déclarés par une SCI qui avait pour activité la location nue de biens immobiliers et, d’autre part, de la taxation, au titre de l’année 2012, de revenus présumés tirés de l’activité illicite de son fils majeur notifiée sur le fondement de l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. Les compléments d’impôt sur le revenu et de contributions sociales résultant de ces derniers redressements ont été assortis de la majoration de 80 % appliquée aux droits notifiée sur le fondement de l’article 1649 quater-0 B bis prévue à l’article 1758 de ce même code.
Dans l’ignorance de l’étendue des activités de son fils majeur, ce paisible contribuable avait demandé le rattachement de ce dernier, normalement apprenti coiffeur, à son propre foyer fiscal, en vue de bénéficier d’une demi part supplémentaire pour le calcul de son impôt propre sur le revenu.
Mais c’était un bien mauvais calcul, car il s’est avéré que l’enfant majeur, au lieu de limiter ses activités à ses chères études, avait aussi été condamné par un tribunal correctionnel pour des faits d’acquisition, de détention et de transport de stupéfiants après avoir été interpellé en possession de 984 grammes de résine de cannabis au volant d’un véhicule.
On sait que l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts prévoit que lorsqu’il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d’une procédure prévue par le code de procédure pénale qu’une personne a eu la libre disposition d’un bien objet de certaines infractions (notamment le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants), cette personne est présumée, sauf preuve contraire, avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l’année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. Il en est de même des biens meubles qui ont servis à les commettre ou étaient destinés à les commettre, à savoir notamment les véhicules, ou des sommes d’argent, produit des infractions en cause.
C’est ainsi que plusieurs années plus tard, l’administration fiscale, avertie de ces faits par l’autorité judiciaire dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales, avait non seulement redressé les revenus du foyer fiscal du père du chef des revenus présumés du fils, mais aussi ajouté à ces revenus une majoration de 80 % ainsi qu’il est prévu par le quatrième alinéa de l’article 1758 du code général des impôts.
L’infortuné père de famille s’est donc trouvé non seulement imposé du chef de revenus présumés d’une activité illicite dont il ignorait tout, mais aussi sanctionné d’une majoration de 80 % du chef d’un comportement illicite auquel il était totalement étranger.
Devant le Juge de l’impôt, l’intéressé faisait donc valoir, non seulement qu’il n’était pas informé des revenus, des activités et de la condamnation de son fils au moment où il avait cru pouvoir compter celui-ci à sa charge, mais aussi, et surtout, qu’il était injuste de lui infliger une punition (majoration de 80 %) alors qu’il n’était pas coupable des faits considérés.
Mais la Cour a rappelé que le père avait opté pour le rattachement de son fils à son foyer fiscal, et que l’administration fiscale est en droit d’opposer au contribuable les conséquences de l’option qu’il a exercée, sans que ce contribuable puisse utilement se prévaloir, ultérieurement de l’irrégularité de l’exercice de cette option.
Ainsi, la Cour juge que l’administration était fondée à imposer les revenus présumés du fils au sein du même foyer fiscal que son père, sans que ce dernier puisse utilement se prévaloir de l’absence de preuve d’une demande de rattachement rédigée par son fils, pour contester l’imposition entre ses mains des sommes présumées appréhendées par lui.
En ce qui concerne l’application des dispositions de l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, la Cour a relevé que le fils avait été condamné par un jugement du tribunal correctionnel et que l’administration fiscale était donc fondée à réintégrer à son revenu imposable la valeur de la résine de cannabis retrouvée dans le véhicule qu’il conduisait lors de son interpellation et la valeur de ce véhicule.
S’agissant de la majoration de 80 %, la Cour a jugé qu’elle découlait de la taxation forfaitaire de l’article 1649 quater-0 B bis, et que le père en était redevable en raison du rattachement de son fils à son foyer fiscal.
Ainsi, selon la Cour, l’application de cette pénalité au père ne méconnaîtrait pas le principe de personnalité des peines, sans qu’il soit besoin de rechercher si celui-ci devait, ou non, être regardé comme ayant eu nécessairement connaissance de l’activité illicite de son fils.
C’est donc une décision extrêmement décevante.
Heureusement, dans ce dossier, la Cour n’a jugé que sur le fond, mais pas sur le terrain de la procédure. Il a donc été possible d’engager un nouveau contentieux, dans le cadre duquel le père se plaint notamment de l’absence de visa d’un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire sur la proposition de rectification qui lui a été adressée.
La décision de faire application de l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts et de modifier la base d'imposition sur le fondement des présomptions établies par cet article doit en effet être prise par un agent ayant au moins le grade d'inspecteur divisionnaire, qui doit viser à cet effet la proposition de rectification de la base d'imposition ou la notification de l'imposition d'office (LPF art. L 76 AA et R 76 AA-1).
Puisque cette formalité a été omise, le contribuable pourra obtenir la décharge sur le terrain de la procédure.
Il n’en reste pas moins que sur le fond, la décision de sanctionner le père pour les fautes du fils majeur ne va pas de soi.
En tous cas, en l’état de la jurisprudence, la décision de demander le rattachement de tel ou tel enfant majeur son foyer fiscal doit être considérée comme définitive : cette décision ne doit donc pas être prise à la légère.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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