Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - Sociétés Civiles de Construction Vente : Extension du domaine de l’article 239 Ter du CGI…
Analyse d'une jurisprudence du cabinet : Cour Administrative d’Appel de Lyon, n° 19LY02403, 18 novembre 2021 , confirmé par Conseil d'Etat n° 460567, 21 juillet 2022 (Na).
Une SCI, dont l’objet social était la construction d’immeubles en vue de leur vente, a acquis en 2002, un ensemble immobilier, en vue d’y construire, après démolition de l’existant, un bâtiment destiné à la vente pour lequel elle a obtenu un permis de démolir en 2003 et un permis de construire en 2007.
Après un long contentieux d’urbanisme, la légalité du permis de construire a été confirmée par la juridiction administrative, de sorte que rien ne s’opposait à l’engagement des travaux.
Alors même qu’elle disposait d’un permis purgé de tous recours, la SCI a néanmoins renoncé à exécuter elle-même ce projet et elle a revendu en l’état, en 2013, le bien immobilier qu’entre temps, elle avait inscrit dans ses immobilisations, en l’état à une société d’HLM.
L’immeuble ayant été inscrit en immobilisations, lorsque la revente en l’état est intervenue en 2013, plus de dix ans après l’achat, la société a constaté une plus-value à long terme, qui a donc été imposée au taux proportionnel de 16 % au nom des associés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
Mais, à l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a considéré que le profit résultant de la cession de cet immeuble, requalifié en stock, constituait un produit d’exploitation imposable à l’impôt sur le revenu au barème progressif au nom des associés, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, en vertu du même article 239 ter du code général des impôts.
Dans le contentieux qui a suivi, les associés de la SCI, qui avaient été imposés à l’impôt sur le revenu et aux contributions sur les revenus du patrimoine à concurrence de leur participation dans le capital de la SCI, ont soutenu qu’en ayant revendu l’immeuble en l’état, mais sans avoir jamais réalisé aucune opération de construction vente, la SCI avait renoncé à réaliser son projet de construction d’un immeuble en vue de sa vente, de sorte qu’elle ne pouvait plus bénéficier du régime dérogatoire de l’article 239 ter du code général des impôts.
Par suite, les associés défendaient que la SCI était imposable à l’impôt sur les sociétés en vertu du 2. de l’article 206 du code général des impôts, et que, par suite, les rappels d’impôt sur le revenu mis à leur charge dans la catégorie des BIC n’étaient pas fondés.
On sait en effet qu’en principe, les résultats d’une société civile qui réalise des opérations commerciales (telles que l’achat d’un immeuble en vue de la vente) sont, normalement, soumis obligatoirement à l’impôt sur les sociétés, sous réserve de l’application d’un régime dérogatoire, à savoir celui par exemple de l’article 239 Ter du CGI qui s’applique aux sociétés de construction vente dont l’activité est conforme à l’objet social.
Ainsi, en principe, lorsqu’une SCI de construction vente réalise des opérations de marchands de biens, les résultats correspondants sont imposés à l’impôt sur les sociétés.
Toutefois, il est régulièrement jugé que les profits correspondants peuvent rester dans le cadre de l’article 239 Ter si l’opération commerciale en cause peut être regardée comme accessoire à l’activité principale de construction vente.
Dans la décision n° 19LY02403 rendue par la Cour Administrative d’Appel de Lyon le 18 novembre 2021, le Juge de l’impôt a poussé à son paroxysme cette notion d’accessoire, puisque le projet engagé en 2002, qui s’est conclu par la revente en l’état du même bien en 2013, constituait la seule et unique opération jamais réalisée par la SCI.
Ainsi, le Juge de l’impôt admet qu’une opération de marchands de biens réalisée par une société de construction vente doit être regardée comme accessoire à cette activité statutaire de construction vente, alors même que la dite société n’a jamais réalisé aucune opération de construction vente.
On ne peut que rester perplexe vis-à-vis de la solution ainsi retenue.
La décision de la CAA de Lyon induit en effet que les dispositions de l’article 206-2 du CGI peuvent être, dans de nombreux cas, aisément contournées par les marchands de biens, pour peu que ceux-ci logent leurs actifs dans une SCI (SCCV) dont l’objet social serait conforme aux exigences de l’article 239 Ter du CGI.
Cette décision de la CAA de Lyon pose donc bien plus de questions qu’elle n’en résout. Pourtant, le Conseil d’Etat saisi sur le terrain de l’erreur de droit, a jugé possible de confirmer la décision de la Cour (Conseil d’Etat n° 460567, 21 juillet 2022(Na)).
Il parait donc possible d’en conclure que les marchands de biens peuvent échapper à la taxation à l’impôt sur les sociétés des profits réalisés au moment de la revente de leurs immeubles, lorsque ceux-ci sont logés dans des SCCV dédiées à ces achats, ce en bénéficiant des règles très favorables de déduction des BIC professionnels pour leurs dépenses et charges tant que l’immeuble est en stock, au visa des dispositions de l’article 239 Ter du CGI, alors même que la SCCV ne réalise jamais d’opérations de construction vente.
La décision mériterait d’être confirmée.
Marc Tournoud,
Avocat associé, spécialiste en droit fiscal.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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