Jeudis des Fiscalistes - Sophie Morand- Régularisation de comptes détenus à l’étranger : Le Tribunal administratif de Rennes juge que la prescription allongée de 10 années ne s’applique pas si l’administration fiscale dispose d’indices sur leur existence
La coopération entre les administrations fiscales s’est intensifiée ces dernières années, avec pour objectif affiché la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Notamment, en 2014, 51 Etats de l’OCDE et du G20 ont signé un Accord multilatéral en vue de la mise en place d’un échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.
En application de cet accord, les administrations fiscales collectent auprès des institutions financières un large éventail d’informations concernant les comptes de leurs clients non-résidents et les transmettent aux autorités fiscales de leur État de résidence.
L’administration fiscale française peut ainsi avoir connaissance des avoirs placés à l’étranger par les résidents de France. Et vérifier dans le cadre de son pouvoir de contrôle, que les contribuables ont dûment déclaré ces comptes…
En effet, les résidents fiscaux de France sont tenus de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, détenus, utilisés ou clos à l'étranger. Il en est de même pour les contrats d’assurance-vie.
Les revenus éventuellement générés par ces comptes doivent également être déclarés en France, en application du principe de mondialité de l’impôt sur le revenu, sauf à ce qu’une convention fiscale internationale y fasse obstacle.
En cas de défaut de déclaration de tels avoirs, l’administration fiscale est donc fondée à redresser les contribuables et use généralement de la prescription allongée de 10 années prévue par l’article L 169 du LPF. Le coût du redressement peut ainsi être significatif.
Par un jugement en date du 2 septembre 2020, le Tribunal administratif de Rennes a invalidé une procédure de redressement pour défaut de contrat d’assurance vie détenu à l’étranger, menée par l’administration fiscale.
Notifiée en 2015 et visant les années 2010 et 2011, la juridiction juge la proposition de rectification tardive : lorsque l’administration fiscale dispose d’indices lui permettant d’ouvrir une enquête sur les avoirs placés à l’étranger, et même à supposer que les contribuables n’aient pas procédé à l’ensemble de leurs obligations déclaratives fiscales en vertu de l’article 1649 AA du CGI, l’administration ne peut pas valablement appliquer le délai de reprise exceptionnel de 10 ans (TA Rennes, 2 septembre 2020, n°1805077). Seul le délai de droit commun de 3 années pouvait être appliqué.
Les magistrats administratifs suivent ainsi la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment de l’arrêt Halley, qui n’admet pas l’application d’une prescription allongée lorsque les autorités fiscales d'un Etat membre disposent d'indices leur permettant de s'adresser aux autorités compétentes d'autres Etats membres. Dans ce cas, le seul fait que les éléments imposables dissimulés se situent dans un autre Etat membre ne justifie pas l'application générale d'un délai de redressement supplémentaire (CJCE, 15 septembre 2011, Olivier Halley, Julie Halley et Marie Halley contre Belgische Staat, C 132/10).
Les règles de régularisation des avoirs situés à l’étranger continuent d’évoluer au fil de la Jurisprudence.
Nous encourageons les contribuables, invités par l’administration fiscale à mettre à jour leur situation au regard de leurs obligations déclaratives en matière de comptes financiers ou contrats d’assurances-vie détenus à l’étranger, à vérifier que les redressements proposés par l’administration fiscale sont conformes au droit applicable (nombre d’années rectifiées, revenus réintégrés, pénalités appliquées, principe même de l’obligation déclarative …).
Nous rappelons également aux contribuables désireux de procéder à une régularisation spontanée de leur situation fiscale que, nonobstant la fermeture de la cellule de régularisation dédiée fin 2017, une telle démarche reste possible auprès des services locaux et a le mérite de se réserver la possibilité d’une négociation avec l’administration fiscale.
Notre cabinet est à votre disposition pour vous assister dans ces procédures.
Sophie MORAND sophie.morand@arbor-tournoud.fr
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