Jeudis des fiscalistes - Bilel Hakkar - Jurisprudence du cabinet - De l’importance de la charge de la preuve dans le contentieux pénal des affaires
Jurisprudence du cabinet : Cour d’appel de Grenoble, Chambre des appels correctionnels, n°22/01239, 30 mai 2023
Alors que nous tentions de vous convaincre de l’importance de la charge de la preuve dans le contentieux fiscal au détour de notre précédent article, nous poursuivons cette tentative en matière de contentieux pénal des affaires cette fois-ci.
On le sait, en matière pénale, c'est à l'accusation (le ministère public ou les administrations poursuivantes) d'apporter la preuve de la culpabilité de la personne poursuivie et non pas à celle-ci d’établir son innocence, cette attribution résultant essentiellement du principe tiré de la présomption d’innocence.
Au cas particulier, ne se posait guère la question de savoir si le contribuable dont nous assurions la défense était coupable des faits de fraude fiscale qui lui étaient reprochés puisque cette culpabilité avait d’ores et déjà été retenue par le Tribunal correctionnel puis la Cour d’appel de Grenoble en 2009.
Se posait en revanche la question de savoir si l’amende pénale d’un montant d’environ 40.000 euros qui lui avait été infligée par ces juridictions pouvait être recouvrée par l’administration fiscale, alors même que nous invoquions la prescription de cette amende pénale.
Pour information, jusqu’au 1er mars 2017, les peines prononcées pour un délit se prescrivaient au terme d’un délai de cinq années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation était devenue définitive, ici en 2009 (délai porté à six ans depuis).
Ainsi, pour interrompre la prescription de cette peine d’amende et faire courir un nouveau délai de prescription, il incombait au Trésor public, pris en la personne du comptable public, celui-ci étant en en charge du recouvrement des amendes prononcées par les juridictions pénales, de notifier des actes qui tendent à l’exécution de la peine dans le délai de prescription initial.
Or, alors même que tel n’était pas le cas ici, l’administration avait cru pouvoir notifier un commandement de payer au redevable de l’amende litigieuse au cours de l’année 2019, en prenant le soin de rappeler le caractère immédiat de l’exigibilité des sommes en cause.
Face au refus de prise en compte de nos arguments par le comptable public, lequel faisait valoir qu’il avait entrepris des actes interruptifs de prescription dans le délai de 5 ans à compter de l’arrêt de la Cour d’appel, nous avons saisi cette dernière juridiction d’une requête en difficulté d’exécution sur le fondement de l’article 710 du code de procédure pénale qui prévoit que : « Tous incidents contentieux relatifs à l'exécution sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence ».
Pour soutenir le rejet de cette requête, l’administration fiscale invoquait l’existence d’un certain nombre d’actes d’exécution qui, selon elle, avait interrompu le délai de prescription, tel qu’un commandement de payer, un procès-verbal de saisie vente de carence, plusieurs dénonciations d’avis d’oppositions administratives bancaires, ainsi qu’un commandement de payer.
Toujours est-il qu’entre le fait d’invoquer l’existence d’un acte interruptif de prescription et la preuve de l’existence de cet acte, il y a un pas que l’administration n’a pas été en mesure de franchir ici.
En effet, ainsi que le rappelle à bon droit la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Grenoble, le comptable public n’établit pas qu’un acte d’exécution de l’amende pénale en cause ait été effectué avant la fin du délai de prescription en s’abstenant de produire lesdits actes, le bordereau de situation produit étant à lui seul insuffisant pour apporter la preuve exigée de l’administration.
Cette conclusion à laquelle aboutit la Cour est d’autant plus vraie que certains des actes supposément interruptifs de prescription auxquels le comptable public faisait référence, ne portaient pas sur l’amende litigieuse.
N’étant ni présent ni représenté à l’audience, le comptable public n’a pas été en mesure d’éclaircir les motifs de cette confusion.
Ainsi, dès lors que la prescription de la peine empêche l'exécution de celle-ci, le contribuable est désormais définitivement à l’abri de toute mesure de recouvrement forcé que pourrait vouloir mettre en œuvre le comptable public s’agissant de cette amende pénale.
L’intérêt d’explorer des recours contentieux peu usités tels que la requête en difficulté d’exécution d’une peine d’amende pénale apparaît ainsi capital face à la récalcitrance dont peuvent (souvent) faire preuve les services fiscaux.
Le cabinet se tient bien évidemment à la disposition de tous les justiciables qui voudraient explorer de tels recours.
Bilel Hakkar,
Avocat.
Contact : bilel.hakkar@arbor-tournoud.fr
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