Jeudis des fiscalistes - Caroline Bosvy - Le juge admet la prise en compte d’une valeur postérieure au décès dans le cadre de l’évaluation de biens immobiliers d’une succession
Par un arrêt daté du 16 septembre 2022, la Cour d’appel de Montpellier admet pour le calcul de l’actif taxable d’une succession, que la cession d’un bien immobilier postérieure au décès puisse être prise en considération pour déterminer la valeur de ce bien (CA Montpellier 16-9-2022 n° 17/04953).
En l’espèce, le notaire de la succession a déposé une déclaration de succession auprès du service des impôts compétent, lequel a par suite procédé à l’évaluation des droits de succession de chacun des légataires.
Puis, par déclaration de succession rectificative, le notaire a modifié l'évaluation de biens immobiliers entrainant une réévaluation à la baisse des droits dus par la succession.
Cette déclaration rectificative valant réclamation contentieuse a fait l’objet d’une décision de rejet par l’administration fiscale, conduisant ainsi les légataires à se porter devant la juridiction compétente.
L’objet du litige portait alors sur la démonstration par la succession du caractère exagéré de la déclaration de succession initiale, l’administration estimant que celui-ci n’était pas établi au vu de cessions postérieures à la date du décès.
Pour la liquidation des droits de mutations à titre gratuit, l’article 761 du CGI prévoit que les immeubles, quelle que soit leur nature, sont estimés d'après leur valeur vénale réelle à la date de la transmission d'après la déclaration détaillée et estimative.
En vertu des dispositions de l’article R*194-1, alinéa 2 du LPF, et conformément à la jurisprudence applicable (notamment Cass. Com., 11.01.2017, n° 15-16.454), la valeur vénale réelle d'un immeuble correspond au prix qui pourrait en être obtenu par le jeu de l'offre et de la demande sur un marché réel, compte tenu de la situation de fait et de droit dans laquelle se trouvait l'immeuble à la date de la survenance du fait générateur de l'impôt, sans que puissent être prises en compte des circonstances extérieures postérieures au décès.
Ainsi la preuve du caractère exagéré de la valeur du bien immobilier figurant dans la déclaration de succession consiste à se référer à des ventes définitives portant sur des biens comparables intervenues à la même période.
Or la Cour a donné droit à la succession en acceptant la prise en considération des actes de cession des biens immobiliers, pour lesquels la cession est intervenue pourtant postérieurement à la date du décès, et a ainsi suivi la position des premiers juges.
La Cour observe que les actes de cession avaient été chacun précédés d'avant-contrats sous seing privé conclus aux mêmes conditions et au même prix que stipulés dans les actes notariés constatant chaque vente.
L’accord sur la chose et le prix de ces biens immobiliers était donc acquis dès la date de chacun des avants contrats.
La Cour souligne qu’un délai d'à peine plus de 6 mois a séparé le décès des deux avant-contrats sous seing privés, emportant l’accord sur la chose et le prix, et qu’il a été démontré que le bien n’avait subi aucune transformation entre le jour du décès et la date des avant-contrats. Elle en conclut ainsi que les prix auxquels ces cessions ont été consenties constituent une référence objective pour déterminer leur valeur vénale réelle sur le marché immobilier de l'offre et la demande.
Cet arrêt apparaît quelque peu en contradiction avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
En effet, la Cour de cassation juge régulièrement que pour la détermination de la valeur vénale réelle d’un bien, une vente postérieure au fait générateur de l’impôt n’est pas susceptible, en principe, de constituer un élément de comparaison adéquat (Cass. com. 19-6-1990 n° 868 P ; Cass. com. 29-11-1994 n° 2216 D ; Cass. com. 6-5-2003 n° 00-10.804 FS-D).
Il a pu être précisé que ce principe peut être écarté à titre exceptionnel lorsqu’aucun élément de comparaison antérieur ou concomitant au fait générateur n’existe (Cass. Com 16-04-2013 n° 12-16.266 F-D).
C’est ainsi en se référant à cette dernière décision que la Cour d’appel de Montpellier a assuré sa position en soulignant que la Cour de cassation ne proscrit pas la prise en compte, comme élément de comparaison, d’une cession postérieure au fait générateur.
Pourtant, contrairement aux circonstances de faits de la décision de la Cour de cassation, dans l’arrêt commenté il n’a jamais été fait mention d’une absence d’élément de comparaison antérieur…
Cette décision nécessiterait ainsi une confirmation par la Haute juridiction judiciaire.
Caroline Bosvy,
Juriste.
Contact : caroline.bosvy@arbor-tournoud.fr
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