Jeudis des Fiscalistes - Geoffroy Wolf - Vérification de comptabilité informatisée : quand le maintien d’une option légale peut être assimilé à une opposition à contrôle fiscal.
Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 23/11/2020, 427689
Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, l’entreprise est soumise à un certain nombre d’obligations en matière de conservation des données de la comptabilité et l’administration dispose de la possibilité de réaliser des traitements informatiques sur ces données.
Lorsque qu’elle envisage des traitements informatiques, l'administration fiscale doit indiquer au contribuable quelles sont les investigations souhaitées et lui laisser le choix parmi l'une des options suivantes (L 47 A du LPF) :
a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel de l’entreprise ;
b) Le contribuable peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques selon les indications de l’administration ;
c) Le contribuable peut demander que les traitements soient réalisés par l’administration sur les données que l’entreprise remet à l’administration.
En pratique, le choix d’une des options par le contribuable est délicat : il va dépendre des capacités informatiques internes de l’entreprise, du coût des traitements à réaliser en interne ou par un prestataire extérieur, des délais parfois très courts exigés par l’administration, des descriptifs parfois incomplets ou erronés des traitements à réaliser remis par l’administration…
On pourrait imaginer que pour garantir la pleine effectivité du choix parmi les trois options, il devrait peser sur l’administration l’obligation de faire préalablement une description précise et exhaustive des traitements qu’elle souhaite réaliser, afin que l’entreprise puisse apprécier si elle est à même de procéder aux traitements et dans quels délais.
Or, la jurisprudence fait au contraire peser sur l’administration une obligation minimale.
Il est donc courant que l’entreprise découvre que l’option choisie initialement s’avère impossible à respecter… d’autant que rien n’interdit en théorie à l’administration de complexifier les demandes de traitement en cours de contrôle pour dépasser les capacités de l’entreprise.
La question se pose donc de savoir si le fait pour une entreprise de refuser de modifier son choix initial peut entrainer une sanction.
La Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative lorsqu’il a été amené à se prononcer sur la situation suivante :
Une société a décidé initialement d'effectuer elle-même les traitements informatiques (option b), puis a finalement choisi de laisser l’administration réaliser les traitements sur le matériel de l’entreprise (option a).
Le vérificateur a considéré que le logiciel mis à la disposition du service par la société ne lui permettait pas de réaliser les traitements dans des conditions normales, compte tenu des délais excessifs que son utilisation aurait impliqués.
L’administration a alors proposé à l’entreprise de modifier son choix ou d’être autorisée à utiliser des moyens informatiques complémentaires.
L’entreprise a maintenu son choix pour l'option prévue au a, et a refusé d’autoriser le vérificateur à utiliser des moyens informatiques complémentaires.
L’administration a considéré que cette façon de faire devait être assimilée à une opposition à contrôle fiscal, et par l’arrêt du 23/11/2020 le Conseil d’Etat a validé la position de l’administration.
Cet arrêt devra inciter les entreprises contrôlées à la plus grande prudence.
Elles doivent en effet évoluer dans les méandres d’une procédure complexe avec une visibilité extrêmement réduite : elles doivent choisir une option de réalisation des traitements informatiques sans connaître exactement leur nature et leur étendue et le délai dont elles vont disposer pour les réaliser, et il pourra leur être reproché de maintenir leur option alors que des difficultés se font jour en cours de contrôle suite à des demandes de l’administration non précisées initialement.
Rappelons enfin que la caractérisation d’une opposition à contrôle fiscal entraine des conséquences graves, puisqu’outre la majoration de 100 % de l’impôt dû, celle-ci permet à l’administration d’appliquer la procédure d’évaluation d’office qui lui donne des prérogatives supplémentaires et prive le contribuable de plusieurs garanties procédurales et recours… cela sans compter les éventuelles sanctions pénales puisque l’opposition à contrôle fiscal est également constitutive du délit de fraude fiscale.
Contact : geoffroy.wolf@arbor-tournoud.fr
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