Jeudis des Fiscalistes - Laëtitia Pignier - Jurisprudence du cabinet, TVA sur marge des cessions des terrains à bâtir, suites de l’affaire "PROMIALP"
Depuis la réforme de la TVA immobilière intervenue en 2010, les conditions d’application de la TVA sur marge en cas de revente de terrains à bâtir posent de nombreuses difficultés d’interprétation entrainant une grande insécurité des opérations d’aménagement et de lotissement. Nous faisons le point sur les décisions intervenues ces derniers mois en la matière et qui semblent dessiner un régime particulièrement défavorable aux opérateurs.
Rappelons que, par dérogation au principe de l’application de la TVA sur le prix total, en cas d’acquisition puis de revente d’un terrain à bâtir par un assujetti à la TVA, la cession peut être soumise à la TVA sur la marge lorsque son acquisition n’a pas ouvert droit à la déduction de la TVA.
Outre cette condition, qui est considérée comme remplie, notamment lorsque l’acte d’acquisition ne mentionne pas de TVA ou lorsque l’immeuble a été acquis pour les besoins d’une activité hors du champ de la TVA, l’administration fiscale avait posé une condition d’identité juridique et physique entre le bien acquis initialement et le bien revendu dans des réponses ministérielles successives en 2016.
Compte tenu de l’intervention de plusieurs décisions de Tribunaux Administratifs en sens contraire, l’administration était partiellement revenue sur sa doctrine et avait admis par une réponse Vogel (JO Sén. 17/05/2018 n°04171) que le régime de la marge était applicable dès lors que la seule condition d’identité juridique était respectée.
Le Conseil d’Etat a, dans une décision du 27 mars 2020, prononcé l’annulation d’un arrêt rendu par la Cour Administrative d’Appel de Lyon estimant que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant qu’il résultait des dispositions de l’article 268 du CGI et 392 de la directive du 28 novembre 2006 que le bénéfice du régime de TVA sur la marge était subordonné à la seule condition que l’acquisition du bien cédé (CE 27.03.2020 n°428234, « Promialp »).
Le Conseil d’Etat a cependant décidé du renvoi de l’affaire devant la CAA de Lyon sans trancher au fond et la société PROMIALP que notre cabinet représente dans le cadre de cette instance a introduit une demande de question préjudicielle devant la CJUE dont le sort n’est pas connu à ce jour.
Dans le cadre d'une mise à jour de sa doctrine en mai 2020, intégrant la jurisprudence PROMIALP, l'administration fiscale a précisé, pour l'application du régime de la TVA sur la marge, qu'il n'y a lieu de rechercher le régime de l'acquisition aux fins de déterminer la base d'imposition que pour les seules livraisons d'immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification (BOI-TVA-IMM-10-20-10 n°20).
Par deux décisions du 1er juillet 2020 (CE, 8è ch., 431641, « RGBM » et 435463 « Immoxine », inédits au Recueil Lebon), le Conseil d’Etat a conforté la position de l’administration en précisant que le régime de TVA sur marge s’appliquait uniquement aux opérations de cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti.
La Cour d’appel de Nantes a parallèlement pris une position extrêmement restrictive dans 4 arrêts du 24 septembre 2020 (n°18NT03770, SARL JLDE, n°18NT03796 SASU Immoteli, n°18NT03811, SARL KLA Promotion et n°18NT03820, EURL Boussard Michel) estimant que lorsqu’un terrain et une construction font partie d’une même unité foncière au moment de leur acquisition, la revente ultérieure du terrain ne pourrait être soumise à la TVA sur marge et ce même dans l’hypothèse de l’existence d’un document d’arpentage enregistré avant l’acquisition de la parcelle ou d’un certificat de non-opposition à la division du terrains en lots antérieur à l’acquisition.
Cette notion d’unité foncière apparait contestable et conduit à une contagion maximale du bâti.
Si l’on couple ces jurisprudences avec la définition particulièrement large de bâtiment donnée par la doctrine administrative (BOI-TVA-IMM-10-10-10-20) de « construction incorporée au sol qui inclut notamment les routes, voies, ferrées, ponts, tunnels, digues, barrages, pylônes, lignes électriques, conduites d’eau ou de gaz, parc de stationnement, murs de clôture, constructions industrielles diverses etc. », qui conduirait à considérer comme immeuble bâti une parcelle comprenant toute construction incorporée au sol, les cas dans lesquels il peut être fait application du régime de TVA sur marge deviennent exceptionnels.
C’est d’ailleurs le sens d’une question préjudicielle renvoyée par le Conseil d’Etat à la CJUE (CE 25.06.2020, « Icade » n°416727) et qui a pour objet de voir consacrer par la Cour qu’en application du règlement le régime de taxation sur la marge ne s’appliquerait pas à des opérations de livraisons de terrains à bâtir notamment lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eaux potables, électricité, gaz, assainissement, télécommunication).
Les décisions de la CJUE, du Conseil d’Etat et de la Cour Administrative d’Appel de Lyon sont donc particulièrement attendues afin de préciser les contours d’un régime déjà restrictif d’application de la TVA sur marge ce d’autant plus qu’elles sont susceptibles de permettre à l’administration d’entreprendre des redressements au titre d’opérations déjà réalisées (étant en outre rappelé qu’en raison de l’intervention de l’état d’urgence sanitaire l’administration fiscale peut procéder à des redressements au titre de l’année 2017 jusqu’au 14 juin 2021 au lieu du 31 décembre 2020).
Les opérateurs pourraient cependant faire obstacle à certains redressements en se retranchant derrière les termes changeants de la doctrine administrative depuis l’intervention de la réforme, en fonction de la date des opérations concernées.
Contact : laetitia.pignier@arbor-tournoud.fr
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