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Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - Dans l’hélicoptère de l’évasion fiscale, c’est le pilote qui est le dindon de la farce (CE 04/11/2020, n° 436367)

Le 25 mars 2021
Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet -  Dans l’hélicoptère de l’évasion fiscale, c’est le pilote qui est le dindon de la farce (CE 04/11/2020, n° 436367)

Dans sa déclaration de revenus souscrite au titre de l’année 2009, un contribuable français qui exerçait la profession de pilote d’hélicoptère, avait porté dans sa déclaration, en nature de revenus de source étrangère exonérés d’impôt sur le revenu en France, le montant des salaires qui lui étaient versés à raison de cette activité par la société Ofsets Limited, établie à Jersey.

Après avoir mis en œuvre une procédure de visite et de saisie à l’encontre de la société Heli-Union sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l’administration fiscale, relevant que les prestations effectuées par M. A. avaient été facturées à la société française Heli-Union par la société Ofsets (Jersey) Limited et que cette dernière société était établie dans un Etat à fiscalité privilégiée, a, sur le fondement de l’article 155 A du code général des impôts, imposé les revenus du pilote entre ses mains dans la catégorie des traitements et salaires.

Pour faire échec à l’imposition de ces sommes, le pilote soutenait que son véritable employeur était en réalité la société Heli-Union, établie en France et qu’en conséquence, les revenus perçus par lui en qualité de pilote d’hélicoptère pouvaient être exonérés d’impôt sur le revenu en application de l’article 81 A du code général des impôts.

Ce texte exonère en effet d’impôt sur le revenu les salariés d’entreprises françaises employés à l’étranger, notamment dans le cadre de la Recherche ou de l’extraction de ressources naturelles.

Dans la mesure où il était envoyé par Héli-Union sur des plateformes pétrolières, notamment au Gabon, le pilote était bien éligible au dispositif de faveur, pourvu qu’il soit admis que son véritable employeur était, non pas la société Ofsets interposée à Jersey, mais la société française Heli-Union.

La position du pilote se comprenait facilement puisque le tribunal de grande instance de Paris  avait par ailleurs condamné la société Heli-Union, par un jugement du 9 avril 2018,  coupable de faits de fourniture illégale de main d’œuvre et de travail dissimulé  dans les circonstances décrites,  en relevant notamment que ses pilotes sous contrat Ofsets recevaient leurs ordres de la société Heli-Union.

Pour autant, la Cour Administrative de Lyon a  jugé que ces constatations de fait opérées par le Juge pénal, ajoutées aux pièces justificatives produites par le pilote (ordres de mission, carte de navigant, etc.) ne suffisaient pas à établir que l’intéressé était placé dans un rapport de  subordination avec la société Heli-Union pour les besoins de l’application de l’article 81 A du CGI.

En revanche, la Cour a considéré que le pilote devait être regardé comme un salarié de la  société Ofsets (Jersey), qui n’était pas établie en France. Ainsi, pour la Cour, le pilote n’était  pas fondé à demander le bénéfice de l’exonération de l’article 81 A du CGI, faute d’être employé par une société française.

Le Conseil d’Etat a été saisi, et, par une décision n° 436367 du 4 novembre 2020, a  confirmé que, dans le cadre de l’application de l’article 155 A, il y avait lieu de rechercher la catégorie d’imposition des sommes que cet article permet d’appréhender, et qu’en l’espèce, il s’agissait bien de salaires.

Pour conduire cette analyse, la Haute Assemblée précise que «  la détermination de cette catégorie ne saurait dépendre que de l'analyse des relations existant entre la personne domiciliée ou établie en France qui a rendu pour l'essentiel les services facturés et le bénéficiaire de ces services ».

Dans ces conditions, comme en matière d’abus de droit, il s’agit d’écarter la relation que l’article 155 A permet de regarder comme artificielle pour se fonder sur la réalité telle qu’elle apparaît après élimination des éléments constituant le montage.

La Cour devait donc, ce qu’elle n’a pas fait, se fonder sur la relation entre le pilote et la société Heli-Union, et non pas sur celle entre le pilote et la société Ofsets.

A ce stade, dans la mesure où l’administration avait taxé les revenus en cause en nature de salaire sur le fondement de l’article 155 A, et que ce texte doit être lu au vu de la relation entre la société Heli-Union et le pilote, il paraissait aisé de conclure que ce dernier, alors considéré comme employé par une société française, devait bénéficier de l’exonération de l’article 81 A du CGI.

Mais le Conseil d’Etat en a jugé autrement, au moyen d’une des nombreuses acrobaties juridiques dont le droit fiscal a le secret.

En effet, la Haute Assemblée a estimé pouvoir éviter de casser l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Lyon en rappelant que la règle qui bénéficie à l’administration, consistant à écarter à son profit les montages artificiels, ne profite pas nécessairement à l’identique au contribuable.

Comme l’a rappelé le Rapporteur Public Madame CIAVALDINI dans ses conclusions,  il existe en effet une asymétrie entre le contribuable et l’administration, laquelle, dans le cadre de la théorie de l’apparence, « conserve le choix entre la fiction et la réalité », alors que le contribuable est engagé par l’apparence qu’il donne à ses affaires.

La Cour n’aurait donc pas commis d’erreur de droit en se bornant, pour écarter la demande tendant au bénéfice des dispositions de l’article 81 A du CGI, à s’en tenir à l’apparence, c’est-à-dire au fait que le pilote avait apparemment un contrat de travail avec la société Ofsets (Jersey) Ltd, avec laquelle la société Heli-Union avait conclu une convention de portage salarial.

Ainsi, le pilote a été débouté de sa demande d’exonération, au vu de l’apparence créée par l’interposition de la société Ofsets, et d’une  convention de portage salarial qui aurait été passée entre la société Heli-Union et Ofsets.

Cette solution, si élégante qu’elle soit au regard de la casuistique fiscale, laisse cependant un petit gout amer.

En effet, le Juge administratif, ainsi d’ailleurs que le Juge Correctionnel, avait relevé  que les pilotes sous contrat Ofsets se trouvaient bien dans une situation de subordination. Il s’en déduit que les pilotes sous contrat Ofsets ne sont  pas à l’initiative des montages juridiques analysés par l’administration, leur participation à ce système résultant de leur situation de subordination juridique.

C’est d’ailleurs la position qui avait été défendue par l’administration fiscale elle-même dans le cadre de la procédure de visite et de saisie engagée dans les locaux Heli-Union en France.

C’est aussi  ce qui ressortait des déclarations de revenu du pilote, qui avait déclaré ses salaires comme provenant d’un employeur en France, la société Heli-Union.

Pourtant, c’est le pilote qui fait les frais du montage, étant ici privé du dispositif de faveur normalement offert aux salariés envoyés à l’étranger par un employeur établi en France (article 81 A du CGI), alors qu’il devrait y avoir droit puisque chacun s’accorde à dire qu’il était bien, en fait, envoyé à l’étranger par une société française.

C’est ce qui ressortait des propres déclarations de revenus du pilote, ainsi d’ailleurs que de la position défendue par l’administration fiscale elle-même pour les besoins du contrôle engagé dans les locaux de la société Heli-Union.

Pourtant, en principe, l'administration ne peut opposer au contribuable l'apparence que si deux conditions sont réunies : la situation réelle est réputée occulte à l'égard des tiers et elle n'a pas été portée à la connaissance de l'administration fiscale.

En l’espèce, la seconde condition manque.

Il résulte en effet de la lecture de l’arrêt de la CAA de Lyon soumis au Conseil d’Etat, qu’en réalité,  l’administration fiscale avait une parfaite connaissance de tous les éléments du dossier bien avant d’engager le contrôle des revenus des pilotes, puisqu’elle avait découvert ces éléments à la faveur d’une procédure de visite et de saisie engagée dans les locaux de la société Heli-Union sur le fondement de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

La situation réelle des pilotes était donc parfaitement connue de l’administration. Elle était d’ailleurs conforme à la déclaration des revenus déposée par l’intéressé.

Dans une telle situation, la théorie de l’apparence ne devrait pas s’appliquer (CE 3e et 8e s.-s. 8-3-2004 n° 248094).

La solution rendue par le Conseil d’Etat dans l’affaire CE 04/11/2020, n° 436367, devra par ailleurs être confirmée sur le terrain de la procédure.

En effet, les pilotes, ici considérés comme des délinquants fiscaux en conséquences des contrôles engagés par l’administration fiscale contre  les société Ofsets et Heli-Union, n’ont évidemment pas accès aux contrats passés entre ces deux sociétés, pas plus d’ailleurs qu’ils n’ont accès aux pièces des procédures engagées par l’administration contre Heli-Union et Ofsets.

Il y a ici un paradoxe, qui ne manquera pas d’être mis en avant dans les nombreux autres dossiers de cette nature encore pendants devant les juridictions de premier degré.

Le dindon de la farce n’a donc pas dit son dernier mot !

Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr