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Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence sur les garanties du contribuable : enfin une éclaircie ?

Le 01 décembre 2022
Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence sur les garanties du contribuable : enfin une éclaircie ?

C’est devenu une évidence que de dire que la jurisprudence fiscale, qui jadis sanctionnait régulièrement l’administration fiscale au vu des erreurs de procédure qu’elle avait pu commettre, est devenue, au fil du temps, de plus en plus permissive et finalement extrêmement tolérante vis-à-vis des errements des services vérificateurs.

Ainsi, depuis que le Conseil d’Etat a donné un signal clair en sens, le Juge de l’impôt analyse, d’une façon qualifiée de « pragmatique », l'incidence de l'irrégularité relevée sur la garantie que le législateur a entendu octroyer au contribuable.

La jurisprudence fiscale ne sanctionne donc plus, en soi, l’irrégularité commise par l'administration, mais encourage le Juge à procéder à une analyse au cas par cas.

Cette manière de faire assigne aux Juges des tribunaux administratifs et des Cours une nouvelle responsabilité, qui est celle d’apprécier, au-delà de l’application stricte du texte, si l’anomalie fait préjudice au contribuable, ou pas.

Force est de constater que les Juges de l’impôt se sont emparés avec conviction de l’invitation qui leur était ainsi faite de ne plus accorder systématiquement le dégrèvement des impositions établies au terme d’une procédure irrégulière.

La jurisprudence récente fourmille d’exemples en ce sens, à tel point que c’est à peine une plaisanterie que de dire que le Code général des impôts s’est désormais réduit à deux articles, le premier, déjà connu « article 1 : l’administration a toujours raison », et le second, d’adjonction plus récente « article 2 : les règles de procédure ne s’appliquent que lorsqu’elles profitent à l’administration ».

Du point de vue du contribuable, cette évolution est extrêmement dommageable, non pas seulement parce que la défense du contribuable vérifié en est évidemment entravée, mais aussi et surtout parce qu’elle encourage et conforte l’administration dans une logique de toute puissance, les vérificateurs, mêmes ceux incompétents ou trop zélés, étant assurés que leurs erreurs, excès et errements seront généralement couverts, non seulement par leur hiérarchie, mais aussi par le Juge.

Il s’ensuit, de manière insidieuse mais certaine, une dégradation continue non seulement de la qualité des relations entre les services répressifs et les contribuables vérifiés, mais aussi, plus généralement de la qualité et de l’acceptabilité du contrôle fiscal dans son ensemble.

C’est pourquoi toute lumière dans ce paysage assez sombre est source d’espoir, et doit donc être signalée.

C’est ainsi que dans une décision récente (TA Lille 28-10-2021 n° 1808513, SAS Bigben Connected), le tribunal administratif de Lille vient d’enfoncer une porte ouverte, mais c’est si rare qu’il faut l’en féliciter.

On sait que l’article L 76 B du Livre des Procédures Fiscales impose à l’administration d’informer le contribuable dont elle envisage de fixer ou rehausser les  bases d’imposition, de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu’elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l’intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent » (CE 27-4-2011 n° 320551, concl. C. Legras).

En 2020, une décision du Conseil d’Etat SCI Peronne (CE 21-9-2020 n° 429487, concl. L. Cytermann p. 1570) avait, en matière de TVA, élargi le champ d’application de l’obligation d’information et de communication, prévue par l’article L 76 B du LPF, aux documents pouvant être utiles à l’exercice des droits de la défense et, notamment, aux éléments à décharge, que l’administration a pu rassembler.

Dans un litige fiscal portant sur une fraude à la TVA, la Cour de justice de l'Union européenne avait jugé, dans son arrêt C-189/18 Glencore Agriculture Hungary du 16 octobre 2019, que ce principe a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative.

Dans l’affaire soumise au TA de Lille (TA Lille, 28-10-2021 n° 1808513, SAS Bigben Connected), la requérante se plaignait donc, notamment, au visa de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne relatif aux droits de la défense, de ne pas avoir été mise en mesure d’accéder, en temps utile, aux pièces à décharge qui figuraient dans le dossier de l’administration.

Devant cette argumentation, le TA de Lille a précisé la portée de cette règle en rappelant que ce principe du respect des droits de la défense a pour corollaire le droit d'accès au dossier au cours de la procédure administrative, et que l'assujetti doit avoir la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, toutes les informations et les documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par cette administration en vue d'adopter sa décision.

Le tribunal précise utilement que ces informations et documents se trouvant dans le dossier administratif incluent en principe non seulement l'ensemble des éléments du dossier sur lesquels l'administration fiscale entend fonder sa décision mais aussi ceux qui, sans fonder directement sa décision, peuvent être utiles à l'exercice des droits de la défense.

Au nombre de ces derniers figurent en particulier les éléments que cette administration a pu rassembler et qui seraient susceptibles de faire douter de la participation du contribuable, en connaissance de cause, à la fraude que le service estime avoir caractérisée.

Dans un monde normal, il paraitrait naturel qu’un service public, même dans son rôle répressif, s’astreigne de sa propre initiative, à communiquer non seulement les éléments à charge, mais aussi ceux à décharge, de sorte à ce qu’un débat véritablement loyal puisse s’organiser avec le contribuable vérifié.

Force est de constater que ce n’est pas la pratique de l’administration. C’est triste, mais ce n’est pas surprenant, dans le contexte décrit plus haut.

C’est pourquoi il est heureux de voir certains tribunaux, notamment le TA de Lille dans la décision précitée Bigben Connected, rappeler que les fondamentaux d’un contrôle fiscal loyal intègrent le respect effectif des droits de la défense, et donc, en particulier, l’obligation de communiquer au contribuable qui le demande la totalité des pièces utiles à la défense, notamment celles à décharge.

La décision du TA de Lille (TA Lille, 28-10-2021 n° 1808513, SAS Bigben Connected) mérite donc d’être signalée pour ce motif.

 

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Marc Tournoud,

Avocat associé, spécialiste en droit fiscal.

Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr