Jeudis des fiscalistes – Paul Guillaume - Le cas saugrenu d’une plus-value imposable au moment de l’acquisition d’un bien.
Bien qu’en temps normal, une plus-value est imposable au moment de la cession d’un bien, il existe d’autres hypothèses dans lesquelles une telle plus-value sera dégagée. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’acquisition d’un bien peut entrainer, dans certains cas précis, l’imposition d’une plus-value.
Ce phénomène se rencontre lorsqu’une société soumise au régime fiscal des sociétés de personnes, qui exerçait une activité de sous-location d’un immeuble nu qu’elle avait pris en crédit-bail, décide de lever l’option d’achat prévue audit contrat de crédit-bail. Dès lors, l’articulation des règles civiles du contrat de crédit-bail et des règles fiscales afférentes à la nature des revenus immobiliers locatifs laisse place à une situation étrange.
En effet, les revenus tirés d’une activité de sous-location, lorsqu’ils sont soumis à l’impôt sur le revenu, relèvent de la catégorie des bénéfices non commerciaux. En revanche, l’entrée de l’immeuble dans le patrimoine de la société consécutive à la levée d'option du contrat de crédit-bail se traduite par un changement de nature de l'activité exercée, la société cessant son activité de sous-location au profit d'une activité de location directe, taxable dans la catégorie des revenus fonciers (Conseil d’Etat, 4 mars 2015, n° 360508, Affriat). Dès lors, la cessation de l’activité initiale et le changement de régime fiscal ont eu pour effet de rendre immédiatement imposable la plus-value susceptible d'avoir été acquise à cette date (CGI, art. 93 quater, IV).
La question de cette plus-value taxable, qui apparaît tranchée en présence d’une société soumise au régime fiscal des sociétés de personnes, s’est néanmoins posée lorsque les associés de cette même société sont personnellement redevables de l’impôt sur les sociétés.
Les juridictions du fond avaient adopté sur ce point des positions divergentes. La Cour administrative d’appel de Versailles (CAA Versailles, 9 février 2023, n° 20VE02886) a d’abord jugé que, quand bien même aucune distinction ne pouvait être faite quant à l’imposition de revenus tirés d’une sous-location ou d’une location directe en matière d’impôt sur les sociétés, l’absence de changement de régime fiscal de la société associée n’avait aucun impact sur la taxation de la plus-value latente en litige, qui devait s’apprécier au niveau de la société de personnes uniquement.
La Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 28 novembre 2023, n° 22NT01088) a adopté ultérieurement la position inverse en appliquant fort justement l’article 238 bis K du CGI, qui dispose que la part de bénéfices correspondant aux droits détenus par une société soumise à l’IS dans une société de personnes est déterminée selon les règles fiscales applicables au bénéfice réalisé par la société qui détient ces droits. Dès lors que l’opération n’entraine pas de changement du régime d’imposition de la société à l’IS, la plus-value litigieuse ne pouvait légitimement être taxée dans le résultat imposable de cette société.
Par un arrêt récent (CE, 26 avril 2024, n° 472855, Société CMM Finances), le Conseil d’Etat a mis un terme aux divergences en statuant sur la décision des juges versaillais. Logiquement, c’est la position adoptée par la CAA de Nantes qui est retenue ici, le Conseil d’Etat expliquant que, par application des articles 218 bis et 238 bis K du CGI, « les éventuelles conséquences fiscales qui s’attachent au transfert de propriété résultant de la levée de l’option d’achat d’un contrat de crédit-bail par une société relevant du régime fiscal prévu à l’article 8 du code général des impôts doivent s’apprécier, pour les associés patrimoniaux de cette société, en appliquant les règles relatives à la catégorie d’imposition correspondant à l’activité de la société et, pour ses associés soumis à l’impôt sur les sociétés, en appliquant les règles relatives aux bénéfices industriels et commerciaux ».
Cette décision permet de lever le flou sur le cas insolite d’une plus-value taxable au moment de l’acquisition d’un bien par une société de personnes, complexifié par la présence d’associés de cette société redevables de l’IS.
Paul Guillaume,
Juriste.
Contact : paul.guillaume@arbor-tournoud.fr
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