Jeudis des Fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet : L’administration peut changer les motifs de ses redressements, mais pas au détriment des garanties du contribuable (CAA de LYON, 2ème chambre, 12/11/2020, 19LY00464, Inédit)
Une société civile immobilière, qui avait plusieurs associés dont une autre SCI, elle-même détenue par une personne physique qui possédait 98 % des parts de cette société, a fait l'objet d'une vérification sur place à l'issue de laquelle l'administration fiscale a réintégré selon la procédure contradictoire dans son résultat de l'année 2012 une indemnité de 100.000 euros perçue à la suite de la résiliation d'un compromis de vente. En application de l'article 8 du code général des impôts selon lequel les associés sont assujettis à l'impôt sur le revenu à raison de leur quote-part dans les bénéfices de la société de personnes dont ils sont associés, l'administration a assigné des compléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales dans la catégorie des revenus fonciers, à concurrence des droits de chaque associé dans la SCI.
Devant le tribunal administratif de Grenoble, l’administration avait reconnu que la taxation d’une telle indemnité de résiliation ne relevait pas des revenus fonciers, mais le directeur des Finances Publiques avait demandé au tribunal une substitution de base légale tendant à ce que la somme de 100.000 euros encaissée en 2012 soit imposée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement de l'article 92-1 du Code général des impôts.
Le Tribunal administratif avait admis la demande de l’administration, et, par suite, rejeté sa demande de décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.
L’administration a en effet la possibilité, à tout moment de la procédure contentieuse, d’invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition.
Mais la Cour rappelle utilement qu’une telle substitution de base légale ne peut pas avoir pour effet de priver le contribuable des garanties attachées à la procédure contradictoire, et en particulier, de la faculté prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend.
La Cour administrative d’Appel de Lyon a donc annulé (CAA de LYON, 2ème chambre, 12/11/2020, 19LY00464) la décision du tribunal administratif de Grenoble, et accordé au requérant la décharge des rappels mis à sa charge du chef de cette somme de 100.000 euros.
En effet, la base légale initialement retenue par l'administration pour fonder le redressement relevait de la catégorie des revenus fonciers. Ainsi, le litige n'entrait pas dans le champ de la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. En revanche, sur la nouvelle base légale d'imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, invoquée par le ministre devant le tribunal puis devant la cour, le contribuable aurait été en droit de demander que cette commission soit saisie, le cas échéant, d'un désaccord sur le montant de ces bénéfices. Par suite, et sans que le ministre puisse utilement faire valoir qu'en l'espèce il n'existait pas de désaccord sur le montant du bénéfice en cause, la SCI, qui s'est vu refuser le droit de saisir la commission dans le cadre de la procédure d'imposition suivie pour établir l'imposition, ne peut être regardée comme ayant pu bénéficier de la faculté de demander la saisine de la commission, ce qu'elle avait au demeurant fait.
Dès lors, c'est à tort que le tribunal a fait droit à la demande de substitution de base légale demandée par le ministre. Le ministre ayant renoncé à imposer cette somme sur la base qu'il avait initialement retenue, la Cour a jugé qu’il y avait lieu, en conséquence, de décharger les contribuables du complément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2012 à raison de la réintégration dans le résultat de la SCI de cette indemnité de 100.000 euros, ainsi que des pénalités correspondantes.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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