Jeudis des fiscalistes - Geoffroy Wolf - Le régime des recours hiérarchiques prévus par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié est modifié
Une modification en catimini ayant d’importantes conséquences et qui laisse en suspens nombre de questions
Charte des droits et obligations du contribuable vérifié - version octobre 2023
L’Administration publie en octobre 2023 une nouvelle version de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié dans laquelle le régime des recours hiérarchiques est modifié. Désormais, le recours devant l’inspecteur divisionnaire ou principal doit être fait dans les 30 jours de la réception de la réponse aux observations du contribuable (imprimé n° 3926), et le recours devant l’interlocuteur doit être formé dans les 30 jours de la réception du courrier de l’inspecteur divisionnaire ou principal.
L’entreprise faisant l’objet d’une vérification de comptabilité et le particulier d’ un examen de sa situation fiscale personnelle (ESFP) bénéficient d’un certain nombre de garanties parmi lesquelles comptent, en cas de maintien des redressements, ce que l’on nomme couramment les « recours hiérarchiques » consistant en un entretien avec le supérieur hiérarchique (en principe le chef de service du vérificateur) dans un premier temps puis, en cas de persistance du désaccord, avec l’interlocuteur désigné par le Directeur des Services Fiscaux, ce afin d’obtenir des éclaircissements supplémentaires.
Ces recours ne sont pas prévus par la Loi ou les Règlements mais par la CHARTE DES DROITS ET OBLIGATIONS DU CONTRIBUABLE VERIFIE laquelle a pour objet de faire connaître de manière concrète les garanties dont bénéficie le contribuable. La charte est donc un agrégat de règles d’origines différentes : elle reprend certaines règles prévues par la Loi mais également des règles issues des décisions de jurisprudence, de la doctrine administrative ou alors de simples pratiques administratives.
Les puristes objecteront, et ils auront raison, que la doctrine administrative n’étant pas opposable à l’administration en ce qui concerne les règles de procédure de redressement, la charte n’est opposable à l’administration fiscale que parce que la Loi le prévoit depuis 1988 à l’article L10 du Livre des Procédures Fiscales. Ainsi, c’est donc bien la Loi qui confère à la charte son caractère opposable à l’administration. Mais si les dispositions de la charte qui ne proviennent pas d’une Loi, Règlement ou Jurisprudence s’imposent à l’administration, ce qui est le cas pour ce qui concerne les recours hiérarchiques, l’administration peut librement les modifier.
Et c’est ce qu’elle a fait dans la nouvelle version de la charte parue en octobre 2023. Cette modification, réalisée sans communication ou avertissement préalable, vient bouleverser un régime que la Jurisprudence avait mis plusieurs décennies à en définir les contours et en préciser les modalités concrètes d’application.
Jusqu’alors, les recours hiérarchiques pouvaient être exercés jusqu’à la mise en recouvrement des redressements, c’est-à-dire jusqu’à la toute fin du contrôle fiscal.
Désormais, le recours devant l’inspecteur divisionnaire ou principal doit être fait dans les 30 jours de la réception de la réponse aux observations du contribuable (imprimé n° 3926), et le recours devant l’interlocuteur doit être formé dans les 30 jours de la réception du courrier de l’inspecteur divisionnaire ou principal.
La nouvelle version de la charte précise ainsi également que la décision prise par l’inspecteur divisionnaire ou principal doit être formalisée dans un courrier, ce qui n’était pas le cas précédemment.
Les contribuables subissant une vérification de comptabilité ou un ESFP devront donc être extrêmement vigilants quant à l’exercice de ces recours dans des délais qui sont désormais très contraints.
Se pose ensuite la question de l’articulation de ces recours avec la possibilité, prévue par la Loi cette fois ci, de saisir la Commission des Impôts et des Taxes sur le Chiffre d’Affaires ou la Commission de Conciliation, saisine qui doit intervenir elle aussi dans le délai de 30 jours de la réception de réponse aux observations du contribuable.
Jusqu’à présent, la jurisprudence jugeait que le contribuable était libre d’articuler les recours hiérarchiques et la saisine de la commission comme il l’entendait. Il pouvait donc saisir la Commission puis, en fonction de l’avis de cette dernière et de la position de l’administration quant à cet avis, exercer ensuite les recours hiérarchiques.
Désormais comme les deux recours doivent être exercés dans les 30 jours de la réponse aux observations du contribuable, se pose la question de savoir lequel doit intervenir avant l’autre lorsque le contribuable les exerce ensemble.
L’article L 59 du LPF qui prévoit la saisine de la commission dit « Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis soit de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires… ». Cette formule peut être lue comme prévoyant que la Commission statue suite au maintien des redressements dans la réponse aux observations du contribuable, mais tout aussi bien comme prévoyant que la Commission intervient si le désaccord persiste après tous les recours internes…
La nouvelle rédaction de la charte n’apporte pas non plus de précision sur ce point. Le fait que la saisine de la Commission soit rappelée dans la charte après la partie concernant les recours hiérarchiques pourrait être un indice, mais l’on sait que l’avis de la Commission n’étant que consultatif, il paraitrait pertinent de concevoir que les recours hiérarchiques peuvent précisément avoir pour intérêt d’obtenir des supérieurs hiérarchiques du vérifieur des précisions quant à la position du service sur la décision prise par la commission…
Et aucun des textes ne précise si le contribuable peut demander à ce que l’un de ces recours intervienne avant l’autre.
Si bien que les modalités d’application de ce nouveau régime des recours hiérarchiques, fondé on l’imagine sur une volonté de clarification et de sécurisation des rapports entre l’administration et les contribuables vérifiés devra être clarifié par la jurisprudence ce qui prendra, comme chacun sait, plusieurs années. En attendant s’ouvre alors, avec ce texte non abouti, une nouvelle période d’insécurité et d’instabilité.
Le contribuable vérifié devra donc veiller à manier avec prudence ce nouveau texte pour tenter d’anticiper, en naviguant à vue, les nécessaires ajustements jurisprudentiels à intervenir.
Geoffroy Wolf,
Avocat associé.
Contact : geoffroy.wolf@arbor-tournoud.fr
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