Jeudis des Fiscalistes - Geoffroy Wolf - Ordonnances COVID : une prolongation du délai de réclamation en trompe-l’œil pour le contribuable.
Afin de pallier les contraintes et difficultés du confinement strict qui a été instauré en France à partir du 17 mars 2020, une Loi et plusieurs ordonnances ont été prises pour adapter les délais et procédures dans de nombreux domaines : sociaux, civils, financiers, administratifs... et bien sûr fiscaux.
S’agissant des délais de prescription applicables en matière de redressement fiscal et des possibilités pour un contribuable de solliciter la correction de son imposition, l’ordonnance n° 2020-306 du 25/03/2020 doit retenir tout particulièrement notre attention en cette fin d’année 2020.
En effet, une lecture trop rapide de ce texte pourrait laisser penser que les délais permettant à un contribuable de solliciter la correction de sa situation fiscale, venant à expiration au 31/12/2020, seraient systématiquement prorogés.
Cela n’est pas tout à fait le cas.
A la lecture des textes et des interprétations faites par l’administration fiscale, il convient selon nous de distinguer trois situations :
Situation n° 1 : L’administration fiscale a conduit une procédure de redressement et une proposition de rectification est venue interrompre le délai initial de réclamation pour le porter au 31/12/2020 (par exemple, au cours de l’année 2017, l’administration a notifié une proposition de rectification au titre des revenus 2015, le délai de reprise initial expirant au 31/12/2018 est alors reporté au 31/12/2020).
Dans ce cas et en application des mesures particulières liées à la COVID, le délai de reprise reporté au 31/12/2020 sera allongé jusqu’au 14/06/2021.
Le contribuable bénéficiera alors des dispositions de l’article R196-3 du LPF, qui prévoit que « Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations. ». Il pourra donc déposer une réclamation, portant tant sur le rappel que l’imposition initiale, jusqu’au 14/06/2021.
Situation n° 2 : L’administration fiscale entend redresser des bases d’impositions pour lesquelles le délai de reprise expire normalement le 31/12/2020 (par exemple des revenus perçus en 2017).
L’administration disposera, en application des mesures particulières liées à la COVID, d’un délai expirant le 14/06/2021 pour notifier une proposition de rectification et interrompre la prescription. Si elle notifie une proposition de rectification entre le 01/01/2021 et le 14/06/2021, le délai de reprise sera interrompu et reporté au 31/12/2024.
Dans ce cas de figure, l’administration considère que le contribuable pourra, en application des dispositions de l’article R196-3 du LPF vues ci-dessus, déposer une réclamation portant sur l'impôt en cause, dans le même délai que celui dont dispose l'administration pour mettre en recouvrement les rappels concernés. Il pourra donc déposer une réclamation, portant tant sur le rappel que l’imposition initiale, jusqu’au 31/12/2024.
Situation n° 3 : Si l’administration fiscale n’entend pas notifier de redressement au titre d’impôts dont le délai de reprise expire le 31/12/2020, le contribuable qui voudrait déposer une réclamation pour obtenir la correction de son impôt ne bénéficiera d’aucun délai supplémentaire.
En conclusion, l’administration fiscale bénéficie d’une prolongation des délais expirant au 31/12/2020 jusqu’au 14/06/2021 pour notifier des redressements ou mettre en recouvrement des redressements notifiés antérieurement. Dans ce cas, le contribuable bénéficiera de la même prolongation pour solliciter la correction de sa situation.
En revanche, si l’administration ne procède à aucun redressement, le contribuable qui voudrait faire corriger sa situation ne bénéficiera d’aucun report de délai. Mais s’il dépose une réclamation avant le 31/12/2020, l’administration fiscale pourra contrôler sa situation jusqu’au 14/06/2021 concernant les éléments invoqués dans la réclamation… mais également les autres aspects de sa situation fiscale…
Et rappelons enfin que la doctrine administrative relative aux questions de procédure n’est pas opposable à l’administration fiscale. Cette dernière pourra donc revendiquer ultérieurement une interprétation différente de celle qu’elle présente aujourd’hui dans sa doctrine.
Il convient donc d’être extrêmement prudent quant aux modalités d’application des règles exposées ci-dessus qui sont peu lisibles et d’une interprétation complexe : le calcul des délais et la détermination de la date à laquelle il est possible et opportun de déposer une réclamation devront donc être appréciés au cas par cas.
Geoffroy WOLF
Sources textuelles :
Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période
Contact : geoffroy.wolf@arbor-tournoud.fr
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