Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - Contrôle des remboursements de frais des gérants majoritaires de SARL
Décision commentée dont vous trouverez copie en fin de cet article : TA Grenoble, N°2000655, 2105469, 2205933, décision du 11 mai 2023
On sait que l’article 62 du code général des impôts permet aux gérants majoritaires de SARL d’être imposés dans la catégorie des traitements et salaires pour leur rémunération courante, mais qu’ils ne bénéficient pas de l'exonération des allocations forfaitaires pour frais d'emploi qui est accordée aux salariés ordinaires.
L'administration indique à cet égard (BOI-RSA-GER-20 n° 70) que, compte tenu des termes de l'article 62 du CGI, le revenu brut imposable au visa de ce texte comprend, en toute hypothèse, les allocations, indemnités ou remboursements forfaitaires pour frais d'emploi perçus par le dirigeant.
Ainsi, les remboursements forfaitaires alloués à un gérant majoritaire, lorsqu’ils sont admis en déduction de l'impôt sur les sociétés, sont imposables à l'impôt sur le revenu au nom du bénéficiaire au titre de la catégorie définie par cet article, à savoir celle des traitements et salaires (CE 25-7-1986 n° 56233 ; CE 26-7-1982 n° 20662).
En revanche, la règle est d’application plus délicate lorsque l’administration remet en cause la déductibilité de la dépense à la faveur d’une vérification de comptabilité de la société versante.
En effet, dans ce cas l’administration peut vouloir imposer les sommes en cause comme des revenus de capitaux mobiliers, et non pas comme des revenus du travail, au visa, notamment, des dispositions de l’article 111 c du code général des impôts.
La rectification comporte des conséquences non seulement au détriment de la société, mais aussi vis-à-vis de l’impôt sur le revenu du gérant, et parfois même des contributions sociales.
En effet, des remboursements de frais regardés comme non imposables peuvent être requalifiés en revenus distribués occultes, emportant des rappels d’impôt sur le revenu majorés.
L’administration fiscale tente souvent d’y ajouter des rappels de contributions sociales sur les revenus du patrimoine, rappels qu’elle imagine pouvoir mettre en œuvre alors même que les revenus du gérant majoritaire sont pour l’essentiel des revenus du travail au sens du code de la sécurité sociale.
Une affaire récente (TA Grenoble, N°2000655, 2105469, 2205933, décision du 11 mai 2023) illustre la diversité et la complexité de la mise en œuvre de ses règles en situation de contrôle fiscal.
Dans ce dossier, il s’agissait d’un gérant majoritaire dans deux SARL différentes.
Au point 5 de sa décision du 11 mai 2023, le tribunal a d’abord rappelé les règles dans les termes suivants : « 5. Il résulte de ces dispositions que les remboursements de frais de déplacements perçus par un gérant majoritaire de société à responsabilité limitée constituent, en principe, même en l’absence de justificatifs, un élément de sa rémunération imposable, en application de l’article 62 du code général des impôts, dans la catégorie des rémunérations allouées aux gérants majoritaires de société à responsabilité limitée, sauf si l’administration établit que les sommes correspondantes n’ont pas fait l’objet d’une comptabilisation explicite en tant que remboursements octroyés au personnel ou que leur montant, ajouté aux autres éléments de la rémunération, a pour effet de porter le total de celle-ci à un niveau excessif. Dans chacun de ces deux derniers cas, ces sommes sont imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement, respectivement, des c et d de l’article 111 du même code. ».
Mais le tribunal a appliqué ces règles de manière différenciée dans l’une et l’autre des deux sociétés.
Dans la première, la société avait versé au gérant une somme de 9 403,45 euros correspondant au remboursement forfaitaire de frais de déplacements. Le remboursement apparaissait distinctement en comptabilité et le service ne soutenait pas qu’il serait sans lien avec l’activité de l’intéressé dans l’entreprise.
Par suite, le tribunal a jugé que la somme de 9 403 euros versée ne relevait pas de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, mais de celle des salaires, sans que l’administration ne puisse se prévaloir de la remise en cause de la déduction de la charge à l’issue de la vérification de comptabilité de la SARL.
Le tribunal a donc validé le maintien de l’imposition en nature de traitements et salaires.
Par suite, le montant des rappels d’impôt sur le revenu n’a été que peu affecté par la décision (la base imposable étant à peine inférieure dans la cédule des salaires, par le jeu des abattements et majorations).
Il n’en est pas de même des rappels de contributions sociales, qui ont dû être intégralement abandonnés, puisque l’administration fiscale n’est pas compétente pour le contrôle de ces contributions lorsqu’elles sont assises sur les revenus du travail.
Dans la seconde société, l’entreprise avait déduit des frais de voyages et de déplacement engagés par son gérant à l’aide d’une carte bancaire mise à sa disposition. Figuraient parmi ces charges des dépenses personnelles identifiées par l’administration, des charges enregistrées en comptabilité à partir des seuls relevés bancaires, sans justification précise de leur nature, et des justificatifs qui ne permettaient pas de rattacher facilement ces dépenses à l’activité.
Dans ce contexte, le tribunal a jugé que l’inscription en comptabilité de dépenses non assorties de justificatifs suffisants, de frais professionnels et de dépenses à caractère personnel ne répondait pas à l’exigence de comptabilisation explicite en tant que remboursements octroyés par la société à son dirigeant.
Le tribunal a donc jugé que les sommes en cause étaient imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c de l’article 111 du code général des impôts.
Mais, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi du 17 décembre 2012 de financement pour la sécurité sociale pour 2013, applicable aux revenus distribués ou payés à compter du 1er janvier 2013 le tribunal a relevé que, même si les revenus distribués définis aux articles 108 à 115 du code général des impôts ont en principe le caractère de revenus des capitaux mobiliers passibles de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, ils doivent être regardés, pour leur assujettissement aux prélèvements sociaux, comme des revenus d’activité pour leur fraction excédant 10 % du capital social et des primes d’émission ainsi que des sommes versées en compte courant.
Cette fraction entrant ainsi dans le champ des contributions portant sur les revenus d’activité, elle ne saurait être soumise à celles assises sur les revenus du patrimoine.
Le tribunal en a déduit que les revenus distribués réintégrés aux revenus imposables du gérant majoritaire ne peuvent être assujettis à la contribution sociale sur les revenus du patrimoine pour la fraction excédant 10 % du capital social et des primes d’émission ainsi que des sommes versées en compte courant.
S’ensuit le dégrèvement d’une quotité significative des rappels de contributions sociales sur les revenus du patrimoine.
Ainsi, la portée de la requalification des frais du gérant majoritaire en revenus distribués peut le plus souvent être sérieusement réduite, dans la mesure où, désormais, les rappels de contributions sociales (17,2 %) sont très supérieurs aux rappels d’impôt sur le revenu attachés au revenus distribués (en principe, 12,8 %).
Cela étant, la conduite de tels contentieux impose une certaine prudence. Rien ne sert en effet, à moins que la prescription n’ait déjà fait son œuvre, de revendiquer trop vite l’abandon des contributions sociales sur les revenus du patrimoine du gérant majoritaire, si c’est pour que l’URSSAF vienne réclamer les mêmes contributions sur les revenus du travail...
Une certaine patience, et le recours à un conseil spécialisé, s’imposent donc...
Marc Tournoud,
Avocat associé, spécialiste en droit fiscal.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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