Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Jurisprudence du cabinet - Une nouvelle illustration des limites de la motivation de la proposition de rectification par référence à un document antérieur ou concomitant
CAA LYON N° 20LY03513, 15 décembre 2022
Une SARL, dont le gérant détient la moitié des parts, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a d’abord réintégré des recettes omises dans les résultats de l’entreprise. Puis, classiquement, ces sommes ont aussi été réintégrées dans le revenu imposable du gérant dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement des dispositions du c de l’article 111 du code général des impôts (distributions occultes).
Les rappels d’impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été contestés en vain devant le tribunal administratif de Grenoble, et l’affaire est venue devant la Cour Administrative d’Appel de Lyon, qui a finalement ordonné le dégrèvement de la totalité des rappels au vu de l’argumentation défendue par le cabinet.
Il s’agissait d’un problème de motivation insuffisante de la proposition de rectification.
On sait que l’article L. 57 du livre des procédures fiscales oblige l’administration à adresser au contribuable « une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (…) ». Selon l’article R. 57-1 du même livre : « La proposition de rectification prévue par l’article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (…) ».
L’administration doit donc indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d’imposition concernées.
En cas de motivation par référence, l’administration doit, en principe, annexer les documents auxquels elle se réfère dans la proposition de rectification ou en reprendre la teneur.
Hormis le cas où elle se réfère à un document qu’elle joint à la proposition de rectification ou à la réponse aux observations du contribuable, l’administration peut satisfaire cette obligation en se bornant à se référer aux motifs retenus dans une autre proposition de rectification ou une réponse aux observations du contribuable, à la condition qu’elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause, que celle-ci ait été régulièrement notifiée, et qu’elle soit elle-même suffisamment motivée.
Dans l’affaire CAA LYON N° 20LY03513, du 15 décembre 2022, la proposition de rectification adressée à l’associé gérant indiquait que la vérification de comptabilité de la SARL avait fait apparaître des recettes non déclarées à hauteur de 86 519 euros et que ces recettes omises constituaient des rémunérations et avantages occultes au sens du c) de l’article 111 du code général des impôts, imposables à l’impôt sur le revenu entre les mains du gérant dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
Cette proposition de rectification adressée au gérant faisait explicitement référence à la proposition de rectification ainsi qu’à la réponse aux observations adressées à la SARL, au moins pour ce qui est de l’exposé des motifs des rehaussements. Elle comportait en outre la mention que des copies de deux documents adressées à la société étaient annexées à l’envoi.
Toutefois, ainsi que le faisait valoir notre cabinet, ni la proposition de rectification, ni la réponse aux observations du contribuable adressées à la SARL n’indiquait les modalités de détermination de la base d’imposition retenue en définitive pour l’imposition du gérant, ou les raisons pour lesquelles les recettes omises par la SARL avaient été ramenées à ce montant.
En défense, le ministre faisait valoir que la base du rehaussement d’impôt sur le revenu du contribuable résultait d’un courrier que l’interlocuteur départemental avait adressé à la SARL, et dont l’associé avait nécessairement eu connaissance en sa qualité de gérant.
Mais il n’était pas fait état de ce courrier dans la proposition de rectification adressée ultérieurement à l’intéressé, puisque celle-ci se limitait à signaler que l’administration avait validé la nouvelle méthode de reconstitution des recettes proposée par la société lors de l’interlocution, et à annoncer l’envoi de nouvelles conséquences financières du contrôle, mais sans indiquer la nouvelle base imposable retenue en définitive par l’administration.
La Cour a donc relevé que, dans les circonstances de l’espèce, la proposition de rectification adressée à l’associé ne permettait pas, même par référence aux documents joints ou à ceux dont l’intéressé a eu connaissance en sa qualité de gérant, de connaître les modalités de détermination des omissions de recettes servant de base aux rappels d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, de sorte que cette proposition de rectification ne pouvait être regardée comme l’ayant mis à même de contester utilement les rectifications envisagées.
C’est pourquoi la Cour a jugé que la proposition de rectification ne respectait pas l’exigence de motivation requise par l'article L. 57 précité du livre des procédures fiscales.
Cette décision illustre les règles applicables en matière de motivation par référence. D’une manière générale, la proposition de rectification doit se suffire à elle-même. Le fait que le contribuable pouvait peut-être, par ses calculs et compte tenu de sa connaissance de l’affaire, reconstituer la motivation complète de la proposition de rectification, n’ôte rien à l’irrégularité d’une motivation insuffisante.
Ainsi qu’il avait été dit par le Rapporteur Public Madame Emilie Bokdam-Tognetti dans ses conclusions sous une affaire Société Rellumix (CE, 4 décembre 2019, n°424178) : « La circonstance qu’en jouant au puzzle, le contribuable ait réussi à comprendre les redressements ne permet pas de considérer que la proposition de rectification ait été, par elle-même, « motivée de manière à permettre (au contribuable) de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation » au sens de l’article L 57 du LPF. ».
En d’autres termes, il ne suffit pas que le contribuable comprenne les motifs des rappels.
Encore faut-il que ces motifs soient entièrement et complètement explicités dans la proposition de rectification ou les pièces auxquelles elle fait explicitement référence. A défaut, la procédure est irrégulière.
Il y a là une opportunité contentieuse qui ne doit pas être négligée.
Marc Tournoud,
Avocat associé, spécialiste en droit fiscal.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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