Jeudis des fiscalistes - Marc Tournoud - Livraisons intracommunautaires payées en espèces par un fournisseur dont le numéro intracommunautaire n’est plus valide... exonérées de TVA, ou pas ?
Jurisprudence du cabinet : TA Grenoble, N°2005019, 31 janvier 2023
C’est l’article 262 ter du code général des impôts qui énonce les conditions de l’exonération de TVA des biens expédiés ou transportés à destination d’un autre assujetti vers un autre Etat membre de la Communauté européenne.
L’application concrète de ce texte fait l’objet d’un important contentieux : l’administration est souvent tentée de remettre en cause l’exonération lorsque les conditions des opérations lui paraissent inhabituelles, à savoir notamment si le prix est payé en espèces pour des montants significatifs, ou lorsque le numéro d’assujetti de l’acquéreur n’est plus valide.
Une affaire récente permet de rappeler les limites de l’action de l’administration dans de telles circonstances :
Une société française avait placé sous le régime de l’exonération de l’article 262 ter du CGI des ventes de véhicules d’occasion consenties en 2016 et 2017 à une cliente établie en République Tchèque. Il s’agissait d’un client important et habituel puisque les transactions, intégralement acquittées en espèces, s’élevaient à 407 450 euros en 2016 dont 263 000 euros de livraisons exonérées de taxe et 25 400 euros en 2017 dont 21 100 euros de livraisons exonérées.
L’administration avait remis en cause l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée appliquée à ces ventes au motif que le vendeur aurait dû, selon le service vérificateur, relever l’importance des paiements en espèces, et procéder à de fréquentes vérifications du numéro de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire de la société tchèque.
Pour écarter la thèse de l’administration, le tribunal administratif de Grenoble a d’abord rappelé les règles applicables, dans les termes suivants : « pour l’application de ces dispositions, un assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée disposant de justificatifs de l’expédition des biens à destination d’un autre Etat membre et du numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée de l’acquéreur doit être présumé avoir effectué une livraison intracommunautaire exonérée, cette présomption ne fait pas obstacle à ce que l’administration fiscale puisse établir que les livraisons en cause n’ont pas eu lieu, en faisant notamment valoir que des livraisons, répétées et portant sur des montants importants, ont eu pour destinataires présumés des personnes dépourvues d’activité réelle. Toutefois, le droit à exonération de cet assujetti ne peut alors être remis en cause que s’il est établi, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu’il savait ou aurait pu savoir en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu’il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale. A cet égard, aucune disposition n’impose à un assujetti de consulter la base de données des numéros d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, un assujetti, qui ne dispose pas d’éléments lui permettant de soupçonner l’existence d’une fraude, ne peut voir son droit à exonération remis en cause au seul motif qu’il n’a pas procédé à cette consultation. »
Dans le cas évoqué, le tribunal a relevé que la société française avait vérifié la validité du numéro de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire de sa cliente au moment de l’engagement de leurs relations commerciales, au mois de juillet 2013, et qu’à cette date, le numéro était valide.
Peu importe que ledit numéro était invalidé un mois plus tard, à partir du 14 août 2013, puisque la société française n’était pas tenue de procéder à une nouvelle consultation de la base de données des numéros d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée, tant que les informations dont elle disposait ne lui permettaient pas de soupçonner le comportement frauduleux de sa cliente.
Le tribunal ajoute que la circonstance que les paiements ont été effectués en espèces ne peut pas suffire à démontrer que le vendeur français savait ou aurait pu savoir, en effectuant les diligences nécessaires, que les livraisons intracommunautaires qu’elle réalisait la conduisait à participer à une fraude fiscale, l’administration ne contestant pas la réalité de ces livraisons et ne soutenant pas que la société tchèque serait dépourvue d’activité réelle.
Dans cette affaire jugée par le TA de Grenoble (TA Grenoble, N°2005019, 31 janvier 2023), l’administration n’était pas en mesure d’expliquer à quelle fraude la société Tchèque était supposée participer.
Logiquement, le tribunal a jugé que, dans ces conditions, l’assujetti, qui ne disposait pas d’éléments lui permettant de soupçonner l’existence d’une fraude, ne pouvait voir son droit à exonération remis en cause au seul motif qu’il n’a pas procédé à la vérification du numéro d’assujetti de l’acquéreur.
Cette décision rendue au profit du contribuable rappelle utilement qu’aucune disposition n’impose à un assujetti de consulter sans arrêt la base de données des numéros d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée, notamment pour les clients habituels, et que si les autres conditions de l’exonération sont remplies par ailleurs, c’est à l’administration qu’il appartient d’établir, en cas de doute, qu’au vu des éléments dont le vendeur avait connaissance, que celui-ci savait, ou aurait pu savoir en effectuant les diligences nécessaires, que la livraison intracommunautaire qu’il effectuait le conduisait à participer à une fraude fiscale.
Marc Tournoud,
Avocat associé, spécialiste en droit fiscal.
Contact : marc.tournoud@arbor-tournoud.fr
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